Église Notre-Dame de Rocquigny

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Histoire

Le village de Rocquigny, situé au sud du département du Pas-de-Calais était à proximité immédiate d’une des importantes lignes du front de la Grande Guerre : la ligne Hindenburg. La quasi-totalité des villages de ce territoire furent totalement détruit lors des grandes offensives de 1917, y compris Rocquigny.

L’État engage dans la période de l’Entre-deux-guerres une importante campagne de reconstruction. À partir de 1921, les évêques responsables de la reconstruction des églises dans leur diocèse mettent en route le processus. Après la guerre, la Reconstruction devient un projet d’ordre moral et de justice vers les populations locales. Afin de favoriser leurs mises en place les pouvoirs décisionnels sont délégués aux administrations locales. La reconstruction des églises, institutions de l’Église, sont confiés aux Évêques et aux diocèses.

À la suite d’un concours organisé dans le cadre de la société coopérative de reconstruction des églises du diocèse d’Arras, c’est le projet de Jean-Louis Sourdeau qui fut retenu par le conseil municipal du village de Rocquigny en mars 1924. L’église est construite entre 1929 et 1932.

A partir des années 1990, l’histoire de l’église illustre certaines problématiques liées à la conservation et à la restauration des édifices patrimoniaux. À partir de 1993, l’église est fermée pour des raisons de sécurité par arrêté municipal. Les matériaux de construction, de mauvaise qualité, utilisés à l’époque pour faire des économies, entrainent des dégradations profondes. Le béton notamment, poreux à certains endroits, s’effrite avec l’humidité.

Le 1er juillet 1994 le conseil municipal délibère et vote la démolition de l’église. La Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) intervient auprès de la municipalité afin d’informer les élus sur les qualités architecturales de l’église et son importance en tant que témoignage d’art contemporain sur le territoire du Nord/Pas-de-Calais. Il convient de mentionner l’importance de l’action de Patrick Wintrebert, Conservateur des Antiquités et Objets d’Art, dont l’engagement à contribuer pour beaucoup à la sauvegarde de l’église.

À la suite d’un dépôt de permis de démolition en 1996, la Commission Régionale du Patrimoine Historique, Architectural et Ethnologique (COREPHAE) propose et obtient l’inscription de l’église à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. À nouveau en 1999, le conseil municipal vote la démolition de l’édifice face à la poursuite des dégradations. La Commission supérieure des Monuments Historiques est alors saisie et le dossier est présenté le 22 novembre 1999. L’église de Rocquigny est finalement classée en totalité au titre des monuments historiques par arrêté en date du 7 septembre 2001.

Quelques mois plus tard, un lamier de béton de près de 100 kilos se détache de la tour du clocher. Jugé trop fragile, il est démoli en décembre 2001.

Les toitures et façades de l’église sont restaurées en 2005. La DRAC souhaite désormais reconstruire le clocher à l’identique mais l’insuffisance de moyens financiers ne le permet pas pour l’instant.

Ce manque de moyens s’explique en partie par le désengagement d’une partie de la population locale, qui pendant longtemps n’a pas soutenu les actions de la DRAC et réclame encore la démolition de l’église. Ce conflit d’intérêt révèle les disparités d’opinions entre les instances de protection du patrimoine et plus largement celles des politiques culturelles françaises et les élus locaux. Les difficultés de dialogue créés une rupture profonde avec les élus locaux mis à l’écart des décisions de sauvegarde qui de ce fait refusent de financer une partie du projet et rendent actuellement difficile la reconstruction de la tour du clocher. Il convient cependant de rendre compte de l’implication d’une partie de la population qui a permis de mettre en place une campagne de restauration des rosaces actuellement en cours.

Architecture

L'église de Rocquigny

Certains projets de reconstruction comme nous l'avons vu à Vaulx-Vraucourt cherchent à reproduire les formes originelles et traditionnelles des églises détruites pendant la guerre. À Arras par exemple, la cathédrale saint Vaast est reconstruite à l'identique selon les plans du XVIIIe siècle. D'autres cherchent à introduire de nouvelles formes et s'inscrivent dans le mouvement artistique modernes des années 1920.

Jean-Louis Sourdeau (1889-1976), natif du Nord, alors architecte en chef du Pas-de-Calais et architecte en chef du ministère de la Reconstruction, inscrit le projet de Rocquigny dans le mouvement artistique moderne du début du XXe siècle. Il est diplômé en 1922 de l'École des Beaux-arts de Paris. Installé à Marseille à partir de 1928, il construit de nombreux édifices publics et cultuels dont l'église Saint-Louis et les immeubles de Campagne Larousse, auxquels a été attribué le label « Patrimoine du XXe » siècle.

Le mouvement moderne des années 1920 appelé « style International » se caractérise par la conception et la construction de bâtiments en rupture totale avec les traditions du passé. Ses architectes décident de mettre en valeur des volumes géométriques par des surfaces extérieures lisses avec peu d'ornementation. En effet, le fonctionnalisme des édifices régit les plans et l'espace au détriment de l'ornementation. En outre, ils souhaitent appliquer le principe de régularité et utilisent pour cela toutes les possibilités offertes par le béton, l'acier et le verre.

En France, le représentant de ce mouvement est Le Corbusier. Il a révolutionné l'architecture grâce à ses recherches sur l'habitat et son intégration dans l'espace urbain. Il a conçu de nouvelles règles d'architectures qui s'appuient sur des matériaux (béton) et des techniques de construction novatrices : préfabrication et reproductibilité marquant un lien fort avec l'industrie. Il révolutionne le plan et l'espace des édifices au service du fonctionnalisme.

L'église de Rocquigny présente un plan très original. La nef carrée accueille et rassemble le peuple pour la liturgie. Elle est flanquée d'une chapelle dans l'axe sud- nord. L'abside située dans le prolongement direct de la nef à l'est est carrée également. L'accès à l'église dans l’angle sud-est, proposée en diagonale de l'édifice donne une vue directe sur la chapelle et non le maître-autel. Dans l'angle opposé à celui de l'entrée, les fonts baptismaux sont en symétrie avec le narthex. On y retrouve le plan des premières églises byzantines à croix inscrite, connues pour leur simplicité et leur orientation symbolique vers le culte et le recueillement.

En élévation, quatre murs diaphragmes en béton armé couvert de briques à l'extérieur, soutiennent le plafond en béton armé apparent. L'ensemble était surmonté d'un clocher monumental qui adoptait un parti architectural intéressant avec sa position dans l'angle sud-est de l'église. Son accès oblique à la nef joue sur la verticalité, dans cette plaine de l'Artois sans relief et renforçait l'importance de l’entrée dans l’architecture de l'église. Mais son caractère le plus novateur est d'utiliser exclusivement le béton dans une structure ajourée dont l'architecture de l'époque ne donne pas d’autres exemples.

Les églises issues de la première Reconstruction reprennent souvent le style traditionnel dans le but de retrouver le passé. Les pratiques du régionalisme y ont certes introduit des traces d'invention plastique. Cependant, les églises tournées vers les mouvements artistiques modernes sont plus rares. À Rocquigny, Jean-Louis Sourdeau réinvente le plan et l'espace en reprenant les grands principes du style moderne : géométrie et simplicité des formes au service de la régularité et de la sobriété; emploi systématique du béton armé dont les qualités favorisent l'inventivité du process et une liberté du plan.

Il réussit, en outre, à introduire des éléments tout à fait originaux. Il perturbe la symétrie du plan centré par un jeu géométrique autour d’une entrée dynamique et cherche ainsi une expression architecturale qui lui est propre. Il crée une architecture hybride résistant à bon nombre de classifications.

L'église de Rocquigny constitue un exemple remarquable parce qu'il introduit dans l'architecture religieuse les formes d'un style moderne, qui à l'époque connaissait encore de nombreuses réticences dans l’architecture civile.

Ornementation

Le principe d’inventivité se retrouve dans l’ornementation de l’édifice.

Les vitraux sont l’œuvre du maître verrier Jean Gaudin (1879-1954). Il s’agit d’une « mosaïque » de verre représentant pour la « rosace » sud, le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean et pour celle au nord, l’Adoration des mages. Les vitraux de mosaïque transparente projetée de Jean Gaudin sont entièrement liés aux expériences d’adaptation de l’ornementation aux nouvelles structures en béton armé adoptés par l’architecture religieuse moderne.

La mosaïque de verre, technique entre mosaïque et vitrail, est un travail de conception et de coupe du verre s’apparentant au vitrail alors que le montage et la finition utilise les matériaux de la mosaïque. Une fois le motif fini, il est réalisé de pièces de verre collées sur un support transparent ou opaque et jointé avec un mortier. À Rocquigny, l’utilisation de la dalle de verre, c’est-à-dire la technique du vitrail à joints de béton, est une avant-garde qui se généralise dans l’architecture religieuse d’après-guerre.

Les frères Mauméjean ont aussi créé des mosaïques pour l’église de Rocquigny. De style éclectique, elles sont au nombre de trois et s’insèrent dans les même techniques de création.

Enfin, une ornementation nouvelle liée à l’utilisation du béton se fait connaître. Les claustras, motifs qui ornent les façades de béton, sont présents à plusieurs endroits sur les murs extérieurs et notamment sur les parties qui encadrent l’entrée (photos du motif). À l’intérieur, le système de charpente reprend la ferme (schéma), référence traditionnelle, adaptée au matériau du béton. Elle est ajourée et travaillée pour créer un vocabulaire décoratif de claustras totalement nouveau.


Galerie


Bibliographie

  1. La Grande Reconstruction, reconstruire le Pas-de-Calais après la Grande Guerre, réunis présentés et publiés par Éric Bussière, Patrice Marcilloux, Denis Varaschin, Archives départementales du Pas-de-Calais, 2002.
  2. Céline Frémaux, Églises du Nord et du Pas-de-Calais, 1945-2010, de la commande à la patrimonialisation, Presses universitaires de Rennes, 2011.
  3. La DRAC Nord/Pas-de-Calais - Benoît Grafteaux et Richard Klein architectes d.p.l.g, L’église de Rocquigny – Jean Louis Sourdeau Architecte, novembre 1995.
  4. Dossier de protection, église de Rocquigny, CRMH Nord-Pas-de-Calais
  5. Jacques Philippon, Philipe Merlier, Lionel Dubois, L’église Notre-Dame de Rocquigny (Pas-de-Calais) : restauration, reconstruction ou abandon ?, dossier d’archive, 2002.
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