Conférence du curé Boulanger de Coupelle-Vieille sur sa vie durant la Grande Guerre
Le texte de la conférence
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Histoire locale de la Guerre
Paroisse de l'arrière - Prêtre soldat[2]
Le 28 juin 1914, la Comédie préparée par les cours de Berlin et Vienne, pour justifier la déclaration de guerre projetée contre la Serbie, se muait en tragédie. Effectivement à Sarajevo l'archiduc d'Autriche et son épouse tombaient mortellement frappés sous les balles de revolver d'un Polonais. Le 28 juillet, la guerre austro-serbe commençait. C'était l'étincelle qui allait embraser le monde.
À 4 1/2 du soir, le 1er août, le tocsin rappelait à leur foyer les hommes de Coupelle occupés aux champs. Le gouvernement français, pour faire face aux événements ordonnait la mobilisation générale à la date du 2 août. Le 3 août, l'Allemagne nous déclarait la guerre. Comme aux tristes jours de 1870, au salut qui suivit le chant des vêpres du 2 août retentit la supplication de la France à sa Reine avec les litanies de la T.S.V.[3]. Quelques personnes qui les avaient déjà entendues en 1870 ne purent s'empêcher de pleurer. Face au devoir et au danger, chacun voulut accomplir sa tâche proprement. Ce n'est d'ailleurs qu'une question de six semaines durant lesquelles il faut être particulièrement prêt.
Le 3 à 3 heures du matin, hommes et jeunes gens communiaient. Dès ces premiers mois, ils partirent 93 mobilisés de Coupelle, 23 paieront de leur vie le salut de la Patrie. Leur corps est le seul rempart que la France ait songé opposer à la barbarie sauvage de l'envahisseur. Ils se comptent de la classe 86 à la classe 1914. La journée du 15 août fut une extraordinaire journée de prières. À la Sainte communion, hommes et jeunes gens rivalisaient par le nombre et la piété avec les mères, les épouses et les jeunes filles. Tous vinrent demander la fin du fléau et prier que le règne de Dieu arrive et que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Comme s'il n'était point de règle ordinaire de la part de la Providence de laisser aux événements humains la possibilité de suivre leur cours. Aussi devant la persistance de la guerre, les saluts qui d'abord attiraient autour de l'autel plus de monde que n'en peut contenir l'église, ne compteront-ils après trois mois de guerre que les habitués ordinaires. Durant les cinq mois qui terminèrent 1914 le registre de semaine indique le chiffre ...
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... de 1700 communions. Les pèlerinages d'Embry à N.D. de Lourdes, de Rollez à saint-Antoine, de Radinghem à sainte Apolline, prouvent aux âmes chrétiennes, inquiètes ou en deuil, le réconfort de la prière et des divines espérances. La voix du canon nous interdit d'oublier jamais la gravité des événements. Le front de guerre est si près de chez nous, que l'écho s'en répercutant de vallée en vallée fait parfois trembler portes et fenêtres de nos branlantes maisons. La censure ne nous laisse rien savoir des opérations mais le 75 nous fait connaître l'invasion par la Belgique et la retraite de Charleroi. Par lui encore nous apprendrons le 27, 28 et 29 août qu'un arrêt est imposé à Bapaume à l'armée allemande dans la marche sur Paris. L'invasion de la Belgique, la première victoire de la Marne et la course à la mer font affluer vers nos régions les malchanceux évacués de Belgique et du nord de la France. Trente familles trouvent définitivement abri à Coupelle.
Voici l'hiver, il faut des vêtements chauds pour nos soldats dans la boue. Monsieur le maire demande à monsieur le curé de recueillir les offrandes et les épouses des mobilisés apportent 150 francs qu'elles ont recueillis de maison en maison. Le 11 décembre part la classe 1915. Le contingent de Coupelle est de 8 soldats. Cinq seulement nous reviendront dont un mutilé de la jambe droite.
Le 21 décembre a lieu le premier service pour une victime de la guerre. Toute la paroisse est au pied de l'autel, le service revêt un caractère de solennité particulière. Le catafalque est paré de drapeaux tricolores et monsieur le curé est l'interprète de tous pour dire à la famille combien la paroisse prenait part à sa douleur et combien il est nécessaire que chacune paie par la prière sa dette à la victime de notre liberté. Il en sera ainsi à tout service religieux pour le repos de l'âme de nos soldats. Ils sont trois tués pour 1914.
L'année 1914 se termine par ma convocation à passer à Hesdin, le 30 décembre, un nouveau conseil de révision. Il faut des hommes et du service auxiliaire, je suis versé dans le service armé. Je serai appelé à la fin du 1er trimestre 1915.
Au début : appel de la classe 1916. Cinq jeunes gens rejoignent les armées, ils reviendront à cinq. D'après les renseignements des journaux, le 22 mars est le dernier jour de convocation des hommes de la classe 1892. L'appel est fait par convocation individuelle, remise par la poste. Le 22 mars, aucun ordre de départ ne m'a touché. Et la gendarmerie de Fruges est incapable de me dire où je me dois rendre.
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Mon livret ne comporte aucune indication. Je résolus dès lors sans attendre d'aller demander au bureau de recrutement de Saint-Omer de m'adresser un ordre d'appel. La route fut aisée jusque Aire mais là, plus de chemin de fer. Une voiture de circonstance m'amène à Saint-Omer. Le bureau de recrutement me dirigea sur le dépôt du 33e régiment d'infanterie à Cognac. Je suis de la circonscription d'Arras.
Le 25 mars, je quittais donc Coupelle, presbytère et cure. Je laisse ma mère et ma sœur meurtries. La guerre les conduira rapidement au tombeau. Le personnel de l'église est au complet, chantre, bedeau, chaisière. Tout sera à renouveler au retour. Le Pas-de-Calais et la Croix assurent la lecture de 80 bons journaux. Après bien des vicissitudes, la disparition du Pas-de-Calais la Croix ne comptera plus en janvier 1919 que 35 lecteurs. La paroisse avait un syndicat agricole. Il est à refaire après la guerre : une jeunesse catholique. Les membres du bureau paieront de leur vie le salut de la France ; une ligue des femmes françaises dont il ne restera plus trace ; une confrérie des jeunes filles et un chœur de chant qui subsistent encore ; une magnifique salle paroissiale transformée pendant cinq ans en caserne au profit de l'armée anglaise. Ce n'est plus qu'un taudis que l'Anglais se refuse de remettre en état. L'obligation scolaire réglait la présence des enfants au catéchisme de 6 à 13 ans. Dans la mesure du possible elle sera maintenue par le dévouement des catéchistes volontaires. La double messe du dimanche, les vêpres et le salut, les saluts de la semaine, seront réduits à une chaire par quinzaine et à une réunion de prières et de catéchisme l'après dîner du dimanche, à la récitation de la prière du soir et du chapelet les mercredi et vendredi à la tombée du jour. Toutes ces réunions seront présidées par les catéchistes volontaires, Mesdemoiselles Mathilde et Angélique Debuire. Ces demoiselles seront durant toue la durée de la guerre les collaboratrices les plus dévouées du prêtre désigné par monseigneur pour veiller aux intérêts spirituels de la cure de Coupelle, monsieur l'abbé Gustave Masset, curé de Radinghem. Monsieur Masset a ainsi trois clochers. Sa santé ébranlée par trop de charges demandera beaucoup de ménagements et l'obligera à ne plus venir à Coupelle les derniers dimanches de 1918. Tous les fermiers de Coupelle, il n'y eut qu'une exception, l'allaient chercher à tour de rôle, tous les quinze jours, pour faire la messe paroissiale. Ils surent reconnaître l'immense service que Monsieur Masset leur avait rendu durant les années de guerre. Après le départ de monsieur l'abbé, A. Tailly, curé de Verchocq-Rollez, sur la demande de M. et Mme de la Gorce, je vais chaque mercredi présider à l'église de Rollez la réunion du soir. Une centaine de personnes est là pour la prière du soir, le chapelet, le développement d'une page de catéchisme et un cantique. Rollez ne souffrira pas de mon départ, l'abbé Tailly, réformé, rentre dans la première quinzaine de mars. À tour de rôle, les fermiers de Rollez se faisaient un plaisir de me ramener au presbytère. C'était la voiture de M. de la Gorce qui assurait l'aller.
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De Cognac où le commandant du dépôt du 33 me laisse passer les fêtes du dimanche des Rameaux, je suis dirigé sur la 1ère section des infirmiers militaires dont le dépôt s'était replié sur Trignac Laval (?) (Haute Vienne). Là sont réunis les confrères des vieilles classes. La ferme La Ménagerie nous sert de caserne. Si nous n'y rencontrons point les fauves du désert, du moins est-ce en compagnie de bœufs, veaux, vaches, cochons, et sous le même toit que nous prenons repos, repas et distractions. Et comme l'Enfant Jésus à Bethléem, c'est bien entre le bœuf et l'âne et sur un peu de paille que nous dormons, et le bruit de leurs chaînes allonge les nuits en abrégeant le sommeil. Comme il convient à tout campement de fortune, les rats près de nous trouvent gîte et aliment. Gale, puces et totos tiennent compagnie à quelques négligents des lois de l'hygiène. Au moins le matin, à la première heure, en union avec le cher abbé Mathon, curé de Canlers et les autres confrères, c'est le départ vers la petite ville et la facilité de dire la sainte messe.
En fin avril, le dépôt régional de Boulogne demande du renfort, il faut quitter sa chère soutane qui a suscité l'attention et l'estime des camarades pour se revêtir Dieu sait de quel accoutrement. La France est bien pauvre ou ses dirigeants furent bien négligents. Ces fonds de magasins surpris dans leur léthargie suscitent la pitié des Parisiens qui nous prennent pour les pauvres fils de la Belgique martyre. Faire le guet à Boulogne près des bureaux afin de connaître la direction du vent était toute la préoccupation des soldats. Il faut des infirmiers à Blériot-Plage, je me fais inscrire bon premier. Coupelle est presque à la limite du chemin de fer Berck-Fruges. C'est l'espoir que la paroisse et le presbytère seront moins souvent sans curé et sans maître. Un peu de préparation nous est donnée des aptitudes. Moi qui voulais envisager la guerre, je suis versé dans l'équipe des infirmiers d'exploitation à l'hôpital temporaire n° 2, le casino de Berck dont le chef eut un sergent rengagé dans le civil, surveillant anticlérical d'un atelier d'usine. Le médecin chef est M. Voituriez, professeur à l'université catholique de Lille et l'officier gestionnaire, M. Legrand, également lillois. La garde de nuit près des grands blessés, est sinon exclusivement, du moins de préférence, réservée aux curés. Et nos grands blessés s'en montrent heureux et tranquilles.
Le 15 juin, après un examen sommaire sur l'addition et la multiplication à 1 chiffre, je quitte la salle d'opérations du 42 où j'étais depuis trois semaines pour être envoyé à l'hôpital temporaire 48, hôpital des contagieux, comme secrétaire au bureau des entrées. Au 42, l'abbé César Lecocq, aumônier bénévole de la place de Brest nous avait assuré une chapelle au 42 dans une des chambres de l'hôpital même. Au 48 qui est une maison de religieuses confisquée, tout est disposé pour la sainte messe, et chaque matin, l'abbé Georges Sueur, supérieur de Sainte Austreberthe à Montreuil et moi, nous nous servons mutuellement du saint autel. Nous nous partageons aussi les fonctions d'aumônier bénévole et il n'est point de malade qui ait refusé à l'heure de la mort notre ministère, confession, communion, extrême onction. C'était le médecin chef qui nous avertissait si possible de l'état du patient et il était heureux d'apprendre comment les choses s'étaient passées dans les derniers sacrements. De même le dimanche, il y avait ...
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...à neuf heures, messe pour le personnel et les malades mais cette messe fut toujours peu suivie. Monsieur Thibault de Lille, médecin chef aux idées radicales et matérialistes s'y abstenait. Rarement la visite médicale que rendait minutieuse la qualité de maladie contagieuse était terminée. C'est en dehors des heures de travail que toujours s'accomplissaient nos divers services de piété. Nous évitions aussi toute observation de la part des autorités avec qui les relations furent toujours bienveillantes, et toute plainte de la part des malades ou des camarades. L'assistance au salut de la paroisse nous est possible chaque fois que nous ne sommes pas de garde. Il y eut même des réunions mensuelles organisées au collège Saint-Joseph.
Coupelle en cette année 1915 pleura le deuil de six de ses fils, mais déjà les douleurs semblent moins amères et d'une aptitude moins grande à servir de retour à Dieu. Le commerce fait croître le prix de vente des produits de la terre. Les allocations sont du reste faciles à percevoir et les troupes étrangères surabondent de toutes choses à l'avantage de l'enfant du pays.
Le 20 décembre, Dieu rappelait à lui un vieux serviteur de la paroisse et de la commune en la personne de M. Henri Deligny, ancien instituteur de Coupelle, de 1879 à 1898, de la vieille école, et chantre depuis 1858.
Au bureau des entrées du 48, mon premier souci fut de me faire une main qui sut à peu près écrire convenablement. Laissé seul au bout de 15 jours, je demandais aux circulaires dont à peine je soupçonnais l'importance, la solution aux difficultés de toutes sortes que faisaient surgir les circonstances. Plus tard, quand les femmes entreront au bureau, je ferai l'ordinaire puis me préparerai à remplacer à la Dépense l'abbé Sueur qui de plusieurs classes plus jeune est appelé à quitter plus rapidement le service des hôpitaux.
1916
En mars 1916, le 10, ma mère rendait une belle âme à Dieu. Je ne fus pas autorisé à l'assister à ses derniers moments. Le règlement des permissions des temps de guerre n'existait pas encore. Je l'accompagnais le 14 en sa demeure provisoire dans le cimetière de Coupelle, entouré du représentant de chacune des familles chrétiennes de la paroisse et du clergé du canton. Et celle qui eut l'honneur et la gloire de donner un prêtre à l'église de Dieu a déjà fait miséricorde. Elle laissait ma sœur seule mais pour peu de temps. Que la volonté de Dieu soit faite et qu'il soit pardonné au chef militaire qui, en ces douloureux moments, me fit tant souffrir.
La bataille de Verdun du 23 février au 15 décembre a coûté trois fils à Coupelle. La bataille de la Somme, du 1er juillet au 18 octobre a exigé six nouveaux sacrifices. Après le chantre de la paroisse, l'an dernier, voici que cette année, c'est au tour du bedeau Adolphe Prengarbe d'aller prendre son dernier repos ; ainsi, tout ce qui semblait humainement être un point d'appui dans cette paroisse sans pasteur. Le chantre a pu être remplacé par un évacué, M. Debuire d'Illy sur la Bassée. Deux femmes servent ...
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...le service du bedeau et du sonneur. Le titulaire de la cloche est prisonnier depuis août 1914. Dans la seconde partie de cette année, les pertes subies à Verdun et les exigences du front de Salonique, obligent le gouvernement à faire assurer le service des hôpitaux par des femmes. La classe 1899 des infirmiers est subdivisionnée parmi les combattants de Macédoine et les hommes des classes plus âgées sont rappelées au dépôt le 11 septembre. Je gagnais Boulogne d'où le 14 j'étais envoyé à Hesdin à l'hospice mixte comme secrétaire du médecin chef de la place de l'hospice. Le plus petit grade est toujours d'une évidente utilité. C'est mon grade de caporal qui m'assurait ce poste envié. Merci mille fois à la bonne Providence.
Je retrouve là les filles de la Charité que j'ai si bien connues à Bapaume. L'administration de l'hôpital auxiliaire 206 est aux mains des dames des meilleures familles catholiques d'Hesdin. J'ai connu M. le Doyen à Béthune. M. l'abbé Boutleux, curé de Marconne, sera pour le prêtre soldat le meilleur des confrères en compagnie de M. l'abbé Delory et du bon monsieur Guérin. Ma vie sacerdotale va retrouver autant que possible bien des éléments de piété et de force en la régularité de ces exercices. Aumônier bénévole de la communauté, des civils et des militaires de l'hospice mixte, de l'hôpital auxiliaire 205, j'aiderai monsieur le Doyen dans toute la mesure compatible avec mes charges de secrétaire. Pendant deux ans je resterai là avec M. Marin Bourgois médecin à Boulogne-sur-Mer qui m'assurera de son amitié et de la confiance la plus absolue. Et Coupelle est à 20 kilomètres. J'y serai presque à toutes les grandes fêtes, grâce à la bienveillance de M. le médecin chef et on conversa toujours, assuré de M. Aulart reporter de la Dépêche, évacué d'Arras et gestionnaire de l'hôpital 205.
La guerre me coûtera bien cher. En mars 1916, c'était ma mère bien aimée. Dès février 1917, s'ouvre pour ma sœur, toute une série de crises qui dans l'espace de deux ans la mèneront au tombeau. L'isolement, les inquiétudes de jour et de nuit vont la miner sans arrêt. À mon retour, je me trouverai bien seul.
Le 2 juillet 1914, la foudre a dépouillé de ses ardoises le sommet du clocher et la guerre a empêché toute réfection. En août 1917, la charpente de la cloche ruinée par les eaux s'écrase et pour l'appel aux offices il n'est plus possible que de la tinter.
Une partie des troupes d'Angleterre en permanence à Coupelle sont catholiques. Leur bon exemple dans l'assistance aux offices est d'un bon résultat pour les catholiques affairés de la paroisse à la fête de Noël, à la messe du jour. 150 soldats anglais guidés par leur aumônier viennent recevoir le pain des forts. Le soir aux vêpres, la paroisse eut la bénédiction de son drapeau su Sacré-Cœur offert par les jeunes filles de l'Apostolat de la prière.
1917 voit l'achèvement des batailles de la Somme, de Verdun, la défection russe, et l'intervention des États-Unis. C'est l'année ...
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... de la part de tous les belligérants, des préparatifs grandioses pour les opérations décisives de 1918 sur le front occidental. Coupelle perd cette année quatre de ses fils.
1918. Voici venue l'année des décisions. L'Allemagne libre du côté russe a disposé toute son armée sur le front français et la grande offensive est déclenchée le 21 mars entre Somme et Orne. Les batailles de la Lys et des monts des Flandres, au début d'avril, font affluer vers Hesdin les malheureuses populations des Flandres. Les hôpitaux temporaires deviennent de véritables hôpitaux d'évacuation. Ceux-là seuls restent parmi les blessés malades ou gazés que la mort guette inexorablement. Le cimetière d'Hesdin sert de dernière demeure à des malheureux dont on ne put connaître ni le nom, ni l'âge, ni le pays. Les gazés surtout excitent la compassion tout apparaît douloureux, leur triste état. L'un d'eux meurt dans une violente crise de folie durant laquelle, il ne cherche qu'à blesser le personnel sans reconnaître personne, même pas celui qui l'avait confessé le matin. Dans les hôpitaux anglais d'Hesdin, les malheureux évacués réclament un prêtre français. Averti par monsieur l'abbé Crarey aumônier dans l'armée anglaise, je me rends près de M. le Doyen d'Hesdin afin de régulariser la situation et voici que pratiquement ces meurtris de la guerre deviennent mes paroissiens qui s'ajoutent à ceux des hôpitaux français. Je baptise des enfants venus au monde au hasard des stations de ce douloureux calvaire, je prépare à la mort des personnes de tout âge et de toute condition qui s'en vont partir pour le dernier voyage. Je catéchise et fait faire sa première communion à une mutilée de 20 ans.
C'est dans le cours du second trimestre que Hesdin a l'honneur de posséder monseigneur Julien. Sa grandeur est venue pour conférer le Sacrement de confirmation. Monsieur le médecin chef de la place Bourgain fait à monseigneur l'honneur de ses hôpitaux.
Le 1er août, rappel au dépôt des hommes de la classe 1892. Il s'agit de combler les vides des classes plus jeunes, faits dans les brancardiers démissionnaires. Monsieur Bourgain tente l'impossible pour me garder. Mais l'ordre est général. Il me faut donc quitter Hesdin pour être dirigé dans les formations du front, mais bientôt la contre-offensive victorieuse franco-américaine du 18 au 23 juillet, de l'Aisne à la Marne, et la grande offensive interalliée du 1er août laissent présager une décision favorable aux troupes de l'Entente. L'urgence du départ est moins grande et je n'arrive au dépôt de Le Dorat[4] que dans la seconde quinzaine de septembre. Je serai là jusqu'au 29 novembre, jour de départ pour Lille. La vie au dépôt est faite de riens. Heureusement il est possible d'avoir sa chambre et de coucher en ville. À Le Dorat se trouve ...
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...un excellent homme de Dieu, curé de la paroisse. toutes les facilités nous sont accordées pour la sainte messe. Il arrive, le dimanche, à nous confier une cure voisine, et préside avec grande charité nos récollections mensuelles. Nous avons la bonne fortune d'être, une fois, réunis et encouragés par monseigneur Quilliez venu en la vieille cité, pour une prise de voile.
Et puis voici le 11 novembre, l'armistice est signé. Les Allemands sont aux frontières. Ils laissent aux mains des alliés 420.000 prisonniers et 6.500 canons. Toutes les cloches de Le Dorat sonnent la bonne nouvelle mais la joie est bien mesurée, tant de familles pleurent le haut prix de la victoire. Un salut d'action de grâces dit notre merci au Dieu des armées, au Christ qui toujours aime les Francs.
L'armistice, c'est le lever du jour, surtout pour les vieilles classes de la démobilisation. Cependant, l'ordre est donné à la direction du service de santé de la Région du Nord de rejoindre Lille, son dépôt d'origine, et d'y rétablir le service sanitaire. Un détachement d'infirmiers est immédiatement mis en route. Il nous faut passer par Étaples, Boulogne, voir Hazebrouck, Armentières, et toute cette zone de feu où tout est ruine. Nous descendons à la gare Saint-André, boueuse autant que possible. Lille donne l'aspect d'un géant meurtri et mutilé. Les ponts sont sautés, les moyens de locomotion ne sont plus. Nous sommes ballottés de la place d'Armes à la caserne hégrier? où nous reçoit un vieux grognard commandant la territoriale. La Providence me dépêche un excellent adjudant, frère d'une religieuse fille de la sagesse. Et les bonnes sœurs de la Sagesse sont heureuses d'être assurées d'un aumônier bénévole pour leur messe du matin. C'est à l'institut des sourdes et muettes, 131 rue Royale, que chaque jour je trouverai chambre et lit, et chaque matin toutes les facilités pour dire la sainte messe. Aux bonnes sœurs toute ma reconnaissance. À Lille, toute ma fonction sera de courir les gares pour rechercher les wagons qui amènent du matériel pour la remise en fonction de l'hôpital militaire et de les faire décharger dans des camions automobiles.
Devant la situation créée par les batailles des Flandres l'ordre est donné téléphoniquement le 6 avril de suspendre toute permission et de rappeler d'extrême urgence les permissionnaires. Je ne puis me rendre à Coupelle pour les fêtes de Pâques et la communion pascale. Coupelle n'aura qu'une messe le jour de Pâques.
Le 4 mai, l'abbé Pierre Pénel, curé de Noyelles-sous-Lens, part d'Annezin-lès-Béthune pour la seconde fois, après avoir vécu en France occupée, vient chercher asile à Coupelle-Vieille et y remplacer le curé mobilisé. Il ne peut s'installer au presbytère réquisitionné par l'armée anglaise. C'est la famille Hérent Briche qui lui donne deux pièces au modeste prix de 25 francs par mois. La paroisse rurale dira peu de choses à l'abbé Pénel. Il nous restera jusqu'au lundi 14 octobre, époque où il s'en retournera volontiers, malgré l'attente de beaucoup de misères, au milieu de nombreuses ruines dans sa cure passagère d'Annezin-lès-Béthune. Son passage a préparé le retour à la vie normale de la paroisse. qu'il en soit remercié.
Enfin un couvreur évacué de Beuvry peut réparer la toiture de la flèche du clocher et de l'église, mais le travail ne peut être fait qu'en carton bitumé. Il n'est point possible de se procurer d'ardoises.
Le 29 octobre, je quitte ma sœur que pare la souffrance, plus morte que vive et tandis que je regagne ainsi torturé le dépôt, j'attends avec impatience une mise en sursis. Monsieur Clemenceau a promis la mise en sursis des hommes...
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... de la classe 1892. Avec le départ de l'abbé Pénel et du fait de la fatigue de l'abbé Masset, Coupelle est définitivement privé de prêtre. Monsieur le Doyen de Fruges, sur mon intervention, demande à l'administration diocésaine de solliciter ma mise en sursis. Monsieur Maréchal me répond qu'il n'en sera rien fait et me conseille de suivre les événements. Il est difficile de faire autrement. Pourtant en bon endroit il avait été pris bonne note de mon désir.
Le jour de la Toussaint, monsieur l'abbé Bronart, supérieur de Fruges, accourt le matin pour donner une messe à la paroisse et tout est fini et pour cette journée et pour le lendemain, jour de la communion de nos défunts, cependant que la paroisse vient de conduire à sa dernière demeure pour cette année, le cinquième de ses mobilisés.
1919. La démobilisation est commencée et les soldats des vieilles classes reprennent le chemin du foyer. Le 13 janvier je serai à Coupelle, mais avant il sera donné aux prêtres mobilisés à Lille d'être admis auprès de monseigneur Charoit (?) afin de lui présenter leurs souhaits de bonne année. Monseigneur nous dit la joie de nous recevoir et le bonheur qu'il a plusieurs fois goûté dans ses relations avec le monde officiel, alors qu'il apprenait jusque dans les plus hautes sphères, de la bouche d'indifférents ou d'adversaires, combien le beau rôle du clergé mobilisé les obligeait à la plus vive sympathie envers l'église.
À Coupelle, il me faut me hâter. Ce sont les derniers moments de ma sœur qui fut pendant quatre ans comme le vicaire de cette paroisse sans pasteur. Après une rude nuit d'agonie qui fut comme le travail de sa parfaite purification, Dieu l'appelait à la récompense éternelle le trois février au matin. Mon Dieu, me voilà bien seul. Que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Et toute la paroisse ici rendait le six le surpême devoir de la prière.
À Morhange[5] mourait pour la France le vingt-huitième soldat des enfants de Coupelle sur 130 mobilisés. La mortalité fut pour ces années de guerre de 82 personnes de tout âge, la natalité n'accuse que 35 enfants.
De quelque côté que je me trouve, je ne vois que des ruines. Mon presbytère est vide et la vieille masure tombe en décomposition, mon personnel d'église est à refaire, les œuvres à relever. Habitués à manquer de messe le dimanche, les hommes gardent leurs habitudes de mobilisés et les femmes se tiennent à leurs occupations matérielles. D'ailleurs, tous leurs produits de ferme ont une si grande valeur qu'elles gardent pour inutile le temps qui ne leur est point consacré. Mais le souffle rédempteur animera de nouveau ces cendres et pour cette petite patrie il sera redit comme pour la France : o brave, où est ta victoire ? Le Christ est à jamais vainqueur. Préparons les heureux jours d'une fructueuse mission.
Coupelle-Vieille 1er octobre 1919
S. Boulanger, curé de Coupelle-Vieille ».