Conférence du curé Vanhenverswyn sur l'histoire de la Grande Guerre à Wimille

De Wikipasdecalais
Aller à : navigation, rechercher

Retranscription.png


En décembre 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Wimille apporte son témoignage sur la vie religieuse dans son secteur pendant la Grande Guerre.

Il évoque tour à tour la ferveur et la charité des premiers mois, la lassitude engendrée par la longueur du conflit, la présence de troupes alliées qui troubla visiblement la bonne tenue des mœurs (notamment dans les relations entre les jeunes femmes et les soldats), l’âpreté au gain d’une population aux épreuves des privations, et l’organisation du service religieux durant le conflit.

Ce témoignage est écrit en quatre pages sur des feuilles de papier simple. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 103.


Paroisse de Wimille

Histoire locale de la guerre

A. Mouvements religieux et charitables

Ce mouvement fut très consolant dans les premiers mois qui suivirent la déclaration de la guerre.

a. Au point de vue religieux, on se mit à sanctifier mieux et en plus grand nombre le saint jour du dimanche, par l’assistance plus pieuse et plus compacte à la sainte messe, par des communions plus ferventes chez les uns et plus fréquentes chez les autres. En semaine, aux deux messes quotidiennes, il y avait notablement plus de monde que d’habitude à la messe et à la communion, mais ce qu’il y avait surtout d’exceptionnel et de consolant, c’était la foule (c’est le mot) qui remplissait l’église, au moins la nef principale, tous les soirs aux saluts.

En vertu d’une autorisation accordait par Mgr Lobbedey, il y eut le lundi 10 août 1914, ici comme ailleurs, une journée d’Adoration du très Saint-Sacrement pour l’armée française : elle fut très édifiante… puis, la fête de l’Assomption fut célébrée ici [?] que chaque année, malgré l’absence de tous les mobilisés et le désarroi de ces premiers mois de la guerre. Grande affluence de fidèles aux 3 messes et à la communion, ainsi qu’à la procession de l’après-midi, laquelle ne suivit pas le même parcours que d’habitude, à travers le bourg, à cause de la circulation ininterrompue des autos de guerre, mais qui eut lieu dans la cour du patronage des garçons.

Plus tard, le 3e dimanche de l’Avent, au jour de la Solennité de l’Immaculée-Conception eut lieu une journée de prières… nationales ! Pour la France. Après les nombreuses communions du matin, il y eut une messe très solennelle, à 10 heures et demi, avec exposition du Très-Saint Sacrement, ainsi qu’aux Vêpres, qui furent célébrées à 3 heures, avec procession du Très-Saint Sacrement à l’intérieur de l’église et suivies d’un salut solennel et de la consécration de la France au Cœur Immaculé de Marie par M. Victor de Lédinghen, maire de Wimille. Tel fut le mouvement religieux de la paroisse dans les six premiers mois de la guerre.

Mémoire du curé de Wimille
Voir l'original (page 1)
L'église de Wimille (carte postale ancienne) : C'était la foule (c’est le mot) qui remplissait l’église, au moins la nef principale, tous les soirs aux saluts.

b. Au point de vue charitable, ce fut le même entrain dans les débuts. Tout d’abord, j’ai pris l’initiative et la direction d’une œuvre de guerre qui consistait à faire confectionner par les femmes et les jeunes filles de la paroisse des vêtements chauds de dessous pour les soldats. Avec une voiture et un cheval qui m’avaient été amenés par un de mes neveux, évacué de Lille, j’allais moi-même deux à trois fois par semaine à Boulogne-sur-Mer pour y prendre ou y reporter la toile ou la laine à confectionner ou confectionnées aux comités de vêtements chauds qui y étaient installés. De plus, l’œuvre de Sainte-Élisabeth qui existe ici pour la confection ou l’arrangement des ornements et du linge de l’église, se mit à travailler exclusivement pour les soldats et surtout pour le comité de la Croix-Rouge, installé à Boulogne-sur-Mer et dont M. Joseph de Rosny était le président très actif et très apprécié. Enfin, une souscription demandée par Mgr pour les blessés français et faite à domicile par le clergé de la paroisse a rapporté plus de 1 000 francs. Il y avait, on le voit, de la générosité dans les cœurs et dans les actes, de l’entrain patriotique, religieux et charitable, mais cet entrain ce ralentit peu à peu pour aboutir à la fin à un état [?] et de paroisse plutôt inférieurs à la situation d’avant guerre. Sauf dans certaines circonstances exceptionnelles et très espacées.

B. Causes qui diminuèrent cette première ardeur

Les causes sont multiples, mais elles peuvent se ramener aux trois suivantes indiquées par le programme d’étude de la Semaine religieuse.

a. La longueur de l’épreuve. On s’était si bien imaginé que la guerre n’aurait pas duré longtemps et on s’était si bien convaincu qu’elle se terminerait à notre avantage, qu’il y eut peu à peu comme une lassitude morale et religieuse, faites des déceptions profondes et nombreuses qui se succédèrent les unes aux autres. On avait tant prié, disait-on, on prie encore… et on n’obtient rien et puis tout ce que nous faisons et donnons pour nos mobilisés va-t-il bien à nos soldats à nous ? Et puis la liste de nos morts s’allongeait toujours, le nombre de nos prisonniers, de nos disparus et de nos blessés augmentait sans cesse, on n’en pouvait plus…

b. La présence prolongée des troupes alliées. Elle fut aussi pour beaucoup dans cette diminution d’ardeur religieuse et charitable dans cet affaiblissement de tenue morale des débuts. Non pas que nous ayons eu à loger ici à domicile, grâce à Dieu, les troupes anglaises,

Mémoire du curé de Wimille
Voir l'original (page 2)
mais rien que le voisinage de leurs nombreux camps nuisit quand même au point de vue moral à la conservation de la réserve des mœurs, au moins chez certains et surtout chez certaines. A la vue des soldats qui venaient chaque soir dans les cabarets du village ou qui se promenaient en joyeuse compagnie de l’autre sexe, on ne fut plus si sévère dans sa manière d’être ; il y eut même des désordres de mœurs contre lesquels je dus protester publiquement en chaire. De plus, l’installation de deux blanchisseries anglaises dans la paroisse avec emploi d’ouvriers des deux sexes ne contribua pas à blanchir la vieille et bonne réputation de notre vieux Wimille d’autrefois. Enfin l’appât des salaires élevés qu’on y donnait y amena un grand nombre de jeunes filles de la paroisse et des environs, avec pour ces dernières, la danger du retour à domicile, à des heures avancées de la soirée et par des chemins fréquentés par des tommies en quête d’aventures…

c. La prédominance des intérêts matériels. Ce fut une autre cause d’affaiblissement du sens morale et religieux. En face de la cherté de la vie, qui s’accentuait de plus en plus, on chercha par tous les moyens, à en adoucir les rigueurs et on ne fut plus sensible dans un certain monde, qu’à ce qui rapportait quelques choses. Les allocations, les secours de toutes sortes nécessités par la guerre et octroyés parfois très largement et à n’importe qui, tout contribua à développer l’âpreté du gain et l’indifférence pour tout le reste, y compris les croyances et les pratiques religieuses.

C. Organisation du service religieux aux différents périodes de la guerre

Cette organisation fut à peu près la même qu’en temps ordinaire, sauf pour les journées de prière demandées par l’autorité diocésaine et les nombreux services funèbres pour tous les soldats de la paroisse morts pour la France. Ces services demandés par les familles amenaient habituellement à l’église un grand concours de fidèles. J’en profitais pour faire l’éloge funèbre et patriotique du soldat défunt et pour y faire entendre quelques leçons appropriées aux circonstances du décès ou à celles de la vie du soldat décédé. Les familles choisissaient elles-mêmes la classe du service, mais on ne leur demandait que le demi-tarif. Quant aux journées de prières, elles furent habituellement très pieusement célébrées toutes. Mais je dois une mention très spéciale à la fête du Sacré-Cœur en 1918. Sur la demande de Mgr et après avoir fait le jour même de

Mémoire du curé de Wimille
Voir l'original (page 3)
la procession du Très-Saint Sacrement, un appel aussi vibrant que possible à tous les paroissiens, nous avons célébré en grande pompe, le jour même de la fête du Sacré-Cœur, le vendredi, cette touchante solennité. Communions comme au jour des grandes fêtes, exposition du Très-Saint Sacrement toute la journée, assistance très compacte aux 3 messes et aux Vêpres, consécration au Sacré-Cœur. Ce fut incomparablement la plus belle manifestation religieuse de toute la période de guerre, et ce jour là, en pleine semaine, tous les paroissiens véritables se sont mis en habits de fête et ont chômé toute la journée comme aux jours des plus grandes solennités religieuses... Il en fut ainsi dans la plupart des paroisses du diocèse et même de la France. Et le Sacré-Cœur répondit à ces ardentes supplications, quelques mois après, en acculant nos ennemis à une demande d’Armistice prélude de la fin de la guerre.

D. Statistique

Il ne nous reste plus maintenant qu’à donner ici le nombre de nos mobilisés, de nos morts, de nos blessés et de nos décorés.

  • Mobilisés au nombre de 239
  • Morts : 87
  • Disparus : 16
  • Prisonniers : 25
  • Blessés : 9
  • Décorés : 10

Fait à Wimille

Courant de décembre 1919

M. Vanhenverswyn. curé

Mémoire du curé de Wimille
Voir l'original (page 4)

Lien interne