Conférence du curé d'Auchel sur l'histoire de la Grande Guerre

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En décembre 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé d'Auchel apporte son témoignage sur la vie religieuse dans son secteur pendant la Grande Guerre. Ce témoignage est écrit en huit pages manuscrites sur des feuilles de papier simple. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 102. Nous vous en proposons ici une transcription[1].


Transcription

[Annonce de la guerre]

Doyenné d'Amettes Paroisse d'Auchel

Le samedi 1er août, vers 4 heures, on apprend la mobilisation. Le tocsin sonne longuement et de façon lugubre. Dans presque toutes les maisons on pleure ; mais on est résigné : chacun fera son devoir.

En revenant de l'hôpital où je m'étais rendu pour les besoins de mon ministère, j'entre dans un certain nombre de maisons et je m’efforce de consoler et d’encourager mes paroissiens. Les hommes et les jeunes gens sont calmes et courageux. Beaucoup sont contents et fiers de partir pour défendre la patrie. Mais les femmes et les enfants sanglotent en pensant à la séparation prochaine. Beaucoup de mobilisés partiront le lendemain.

De retour au presbytère, je distribue tout mon stock de médailles et de scapulaires ; je ne puis satisfaire toutes les demandes : on voudrait en remettre à tous ceux qui vont partir.

La nuit du samedi au dimanche est agitée : - grande circulation dans les rues.

Le dimanche 2 août, à toutes les messes, j'invite instamment les paroissiens à se réunir tous les soirs à l'église pour réciter le chapelet et prier pour le succès de nos armes. On priera aussi pour ceux qui vont combattre et pour ceux qui tomberont sur les champs de bataille.

Dès le 1er soir, une foule immense envahit l'église, trop petite pour recevoir tout le monde. Je suis obligé de renvoyer tous les enfants pour faire place aux grandes personnes. Cette affluence continuera pendant plusieurs mois. Elle continuera ensuite progressivement, surtout quand la plupart des ouvriers mineurs mobilisés seront mis en sursis aux mines. Mais pendant au moins 18 mois, il y aura toujours beaucoup de monde au Salut. Ces réunions du soir ont continué[2] pendant toute la guerre, tous les jours, sans interruption. Elles ont toujours été bien suivies. On a beaucoup prié pendant la guerre à Auchel. On a aussi beaucoup communié, surtout pendant les premiers mois. Plus de 100 communions par jour. Le 1er vendredi du mois, on compte de 4 à 500 communions. Le lendemain 1er samedi du mois, il y a encore un bon nombre. Les habitants d'Auchel attribueront plus tard leur miraculeuse préservation à leur dévotion au Sacré-Cœur et à leur confiance à la Sainte-Vierge. Aussi serai-je bien compris, quand, de retour au milieu de mes paroissiens, la guerre finie, je leur annoncerai qu'en actions de grâces de cette préservation, le Chapelet continuera d’être récité tous les jours et je leur proposerai d'ériger dans leur église un beau chemin de croix en reconnaissance au Sacré-Cœur.

Mobilisation

Dès les premiers jours d'août ; plus de 2 000 hommes et jeunes gens sont appelés sous les armes. Ils partent avec un grand entrain. Mr l'Abbé Bled, vicaire, nous quitte vers le 10 août. Moi-même je serai mobilisé le 2 septembre en même temps que tous les réservistes de la région du Nord qu'on fera replier dans le Midi en prévision de l'invasion ennemie. Dans le courant de la guerre, il y aura jusqu’à 4 000 mobilisés dans la commune d'Auchel (y compris Rimbert et Saint-Pierre).

Pendant les premiers mois de la guerre, tous les soirs, une foule immense se réunit sur la place de l'église, aux abords de l'hôtel de ville pour recueillir des renseignements sur la marche des événements. Les nouvelles qui se colportent sont vagues et contradictoires. On pressent cependant que les choses vont plutôt mal. On entend parfaitement le canon.

Vers le 20 août, je suis appelé à la mairie. On m'informe que des soldats allemands ont paru à Béthune. Des patrouilles ennemies se sont avancées jusqu'à Saint-Pol. Peut-être en viendra-t-il à Auchel. Dans ces conditions, je suis prié de profiter des réunions si nombreuses qui se font le soir à l'église[3] pour recommander le calme et la prudence aux paroissiens. Des affiches en ce sens sont apposées en ville.

Le lendemain, à la sortie du Salut, grand émoi et commencement de panique. Les paroissiens sortis de l'église y rentrent précipitamment. Une centaine de cavaliers et autant de cyclistes stationnent sur la place, autour de l'église. On les a pris pour des uhlans, d'où cette grosse émotion qui se traduit par un certain désordre parmi les fidèles. Je fais demander des renseignements et je calme la foule en lui annonçant que ces cavaliers et cyclistes sont tout simplement les braves (?) gendarmes de la région de Douai et de Lens qui se replient devant l'invasion ennemie. Les bruits pessimistes reçoivent de ce fait une confirmation évidente. L'inquiétude se fait vive. Que nous réserve l'avenir ?

Ligue des femmes françaises

Sur l'initiative de sa présidente, la ligue entreprend d'établir une ambulance pour recueillir et soigner les blessés de la guerre. La ligue s'assure le concours et reçoit les conseils de Mr le Docteur Hernu. On fait des démarches auprès de la Direction des Mines de Marles. La Compagnie veut bien mettre à la disposition du Comité de l'ambulance son hôpital avec son personnel et son matériel. De plus, elle offre une partie des écoles du n°5 pour y installer des salles de blessés. Forts de ces concours, la ligue ouvre une souscription dans la paroisse, sollicite des lits, des matelas, des couvertures, du linge, des ustensiles de cuisine, etc….

En moins de 15 jours, la ligue peut mettre à la disposition des autorités militaires environ 200 lits complètement garnis, du linge en quantité et un matériel suffisant pour la marche de l'ambulance. On recruter même le personnel nécessaire pour assurer le service régulier de l'œuvre.

L'hôpital reçut ses premiers blessés dans les premiers jours de septembre 1914. Peu de temps après, l'ambulance était réquisitionnée par l’autorité militaire et devenait hôpital de typhiques[4].

Plus de 2000 soldats y furent soignés. 167 de ces chers malades y trouvèrent la mort et sont enterrés dans le cimetière d'Auchel. La plupart, je puis même dire presque tous, reçurent les derniers sacrements avec une grande foi et une profonde piété. Le clergé de la paroisse les visitait régulièrement et les prêtres infirmiers venaient en aide. Très souvent, dans le début surtout, en grand nombre de paroissiens accompagnaient jusqu'au cimetière les malheureuses victimes de la guerre et de la maladie.

Les religieuses du Sacré-Cœur de Coutances prodiguèrent leurs soins et leurs consolations aux soldats malades. Trois d'entre-elles ont mérité la Croix de Guerre avec des citations très élogieuses.

Quand les troupes anglaises vinrent occuper le secteur l'hôpital fut abandonné par les français (1er avril 1916) et passa aux mains des anglais qui l'occupèrent encore pendant plus d'une année.

Avant de passer à un autre sujet, il faut encore signaler à la louange de la ligue des femmes françaises la souscription qu'elle fit pour répondre aux efforts de Mgr Lobbedey, évêque d'Arras, qui venait de fondre l'Œuvre des Orphelins de la guerre. Cette souscription produisit à Auchel environ 12 000 frs.

Jeunesse Catholique et Patronage

La Jeunesse Catholique et le Patronage ont payé un lourd tribut à la guerre. 7 membres de la Jeunesse Catholique et 5 membres du Patronage sont morts pour la patrie, tombés sur les champs de bataille, disparus ou morts des suites de maladie contractée en service.

Service paroissial

J’ai déjà dit que Mr Bled, vicaire, avait été mobilisé le 10 août. Il ne fut pas remplacé. Le 2 septembre 1914, je partais à mon tour laissant à Mr Humez seul toute la charge de la paroisse. Quelques jours après mon départ, l'évêché donnait à[5] Mr Humez un auxiliaire en la personne de Mr l'Abbé Salingue qui resta à Auchel environ 1 mois. Vers la fin d'octobre, Mr l'Abbé Pruvot, professeur au Grand Séminaire fut envoyé à Auchel comme curé intérimaire. Il y resta jusqu'à mon retour (15 novembre). À cette époque, en effet, je fus renvoyé dans mes foyers comme la plupart des R.A.T. qui avaient été mobilisés avant l'appel de leur classe. Je restai dans ma paroisse jusqu'au 15 mars 1915 époque à laquelle je fus appelé définitivement en même temps que la Classe 91 à laquelle j'appartenais. Mon absence d'Auchel ne fut pas longue, car quelques jours après mon appel, j'obtenais d'être envoyé comme Caporal infirmier à l'hôpital d'Auchel où je restai jusqu'à la fermeture de l'hôpital. C'est-à-dire jusqu'au 1er avril 1916. Mes occupations à l'hôpital ne me permettaient pas d’exercer un ministère actif et régulier dans la paroisse. Mais j'avais demandé à Mgr Lobbedey et obtenu de conserver auprès de moi Mr l'Abbé Dubois, curé d'Harnes qui venait d'être réformé et se trouvait réfugié dans sa famille à Calonne-Ricouart. Pendant mon séjour à l'hôpital d'Auchel, Mr Dubois me fut un auxiliaire très précieux et très dévoué qui assura le service paroissial avec Mr Humez.

Quand je quittai Auchel, pour aller à Boulogne (avril-mai, juin 1916) et de là à Amiens (juin 1916 à mai 1917) puis à Dury-lès-Amiens (mai 1917 à mars 1918) et enfin à Beauvais (mars 1918 à décembre 1918), Mr Dubois fut nommé curé intérimaire à Auchel et en exerça la charge jusqu'à mon retour définitif (20 décembre 1918).

Le rôle de Mr Humez ne fut pas moins important ni moins digne d'éloges. Tous les paroissiens s'accordent à reconnaître que Mr Humez se dévoua sans compter et sans ménager sa santé délicate. Il contribua[6] pour une grande part, par son calme, sa sérénité, sa confiance inébranlable et surtout par son esprit de foi, à relever et à maintenir le moral des paroissiens. Il visita et consola la plupart des familles éprouvées par la guerre et particulièrement les familles des membres de la Jeunesse catholique et du Patronage. Il fut unanimement regretté quand sa santé l’obligea à quitter Auchel pour refaire sa santé dans une paroisse moins chargée.

Œuvres

J’ai parlé du rôle bienfaisant de la ligue des femmes françaises.

La Jeunesse Catholique a la plupart de ses membres mobilisés. De plus son local est réquisitionné pour le logement des troupes. Les réunions mensuelles sont suspendues pendant la 1ère année de la guerre. Elles reprennent, mais moins nombreuses quand les mineurs sont mis en sursis. Les membres non mobilisés envoient chaque année des étrennes aux membres soldats.

Le Patronage a aussi quelques membres, les plus actifs et les plus influents, mobilisés. Son local et sa cour de récréation sont occupés par les troupes. Il n'y a plus de réunions chaque dimanche. Cependant, le Patronage reprend un peu de vie pendant les quelques semaines que passe à Auchel Mr l’Abbé Van Larhoven.

Le Patronage des jeunes filles continue des réunions pendant les 1ères années de la guerre, mais ces réunions sont moins nombreuses ; elles cessent complètement en juin 1918 au moment des violents bombardements.

Le Tiers-Ordre, la Confrérie du Rosaire, les Enfants de Marie se maintiennent pendant toute la durée de la guerre, mais avec des réunions moins fréquentes et moins suivies.

Passage de troupes

Dès les premiers mois de la guerre, Auchel devient un centre de cantonnement et de passage de troupes. Français, Anglais, Judéens, Écossais, Irlandais et Portugais s'y succèdent. Ces soldats sont bien accueillis ; ils logent chez l'habitant. Ils en résultent parfois des inconvénients[7] sérieux ; la morale et les principes religieux en reçoivent quelques atteintes. Des mariages s'ébauchent entre françaises et soldats étrangers, quelques uns se réalisent (une douzaine environ à ma connaissance). On sait déjà que plusieurs de ces mariages ne furent pas heureux…

Augmentation de la population

La paroisse d'Auchel comptait avant la guerre 10000 habitants. Dans les premiers jours d'octobre 1914 commencèrent à arriver des évacués des régions de Lens, Hénin-Liétard, La Bassée, Loos-en-Gohelle etc…

La plupart ne firent que passer à Auchel où ils reçurent d'ailleurs un accueil très sympathique et des secours très précieux. D'autres retenus par les mines ou par la facilité d'y faire du commerce s'y fixèrent définitivement. Du fait de ces réfugiés et par suite de la mise en sursis de nombreux mineurs appartenant aux bassins houillers de Lens, Liévin, Drocourt etc… la population s'accrut considérablement et atteignit plus de 30 000 habitants. À l'exception de quelques excellentes familles, ces recrues n'augmentèrent guère le nombre des bons paroissiens. La grosse majorité des émigrés et surtout des sursitaires sont des indifférents ; il y a même des éléments hostiles à la religion qui ont introduit dans la paroisse un esprit déplorable : on s'en apercevra plus tard.

Bombardements et victimes

Un premier bombardement par gros obus (5) eut lieu un dimanche de novembre 1915. Ces obus n'atteignirent pas la ville. Des avions boches passaient fréquemment au-dessus d'Auchel et laissaient tomber parfois des bombes qui ne causèrent pas grands dégâts. Ces bombardements occasionnèrent le départ d'un certain nombre de paroissiens.

À partir de mars 1918, ces bombardements par obus et par bombes devinrent fréquents et même presque quotidiens. Les 3/4 des habitants, surtout les femmes et les enfants, quittent la paroisse. Beaucoup de ceux qui restent, vont chaque soir, chercher un refuge pour la nuit dans les villages[8] de l'arrière. La compagnie des Mines de Marles fait construire dans les jardins des corons et dans le voisinage des écoles, des abris nombreux et profonds où les habitants se retirent au moment du danger. Grâce à ces précautions et surtout grâce à la protection du Sacré-Cœur et de la Sainte-Vierge, il y eut peu de victimes relativement. On a compté 11 personnes tuées : 4 soldats et 7 civils. Sur ce nombre 2 seulement étaient d'Auchel ; les autres étaient des réfugiés ou des soldats anglais et portugais.

Statistique : 4 000 mobilisés environ
300 morts au champ d’honneur
410 prisonniers
150 mutilés
200 décorés

Curé d'Auchel

Notes

  1. Transcription par Philippe Chaussoy pour Wikipasdecalais.
  2. Fin de la première page manuscrite.
  3. Fin de la seconde page manuscrite.
  4. Fin de la troisième page manuscrite.
  5. Fin de la quatrième page manuscrite.
  6. Fin de la cinquième page manuscrite.
  7. Fin de la sixième page manuscrite.
  8. Fin de la septième page manuscrite.

Galerie des originaux

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