Conférence du curé de Bomy sur sa paroisse pendant la Grande Guerre
Il y évoque la guerre comme un châtiment pour la France, la distraction des âmes des paroissiens par la présence des troupes britanniques, l'appât du du gain, etc.
Ce témoignage est écrit en seize pages manuscrites sur des feuilles de papier simple. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 107. Nous vous en proposons ici une transcription[1].
Sommaire
Mouvement religieux et charitable
Mouvement religieux et charitable pendant les premiers mois de la guerre. La paroisse de Bomy est une de celles qui ont dans la région conservé le mieux les pratiques, les traditions, les convictions religieuses.
Les pratiques de piété n'y sont pas nombreuses, mais les observations essentielles de la religion, messe du dimanche, devoir pascal… y sont en honneur ; aussi ce ne fut pas une nouveauté, au début de la grande guerre, de voir chaque dimanche l'église de Bomy se remplir de fidèles. Au reste, comme ailleurs et pendant les premiers mois, on fit davantage.
La messe de chaque matin réunissait une assistance très nombreuse ; moins de monde aux saluts, mais quand même assistance notable. Un souffle avait passé sur la paroisse.
Les premiers mois de guerre, l'attente anxieuse de ce qui allait arriver, puis les précisions qui se manifestaient, le décret de mobilisation, tout cela en créant une atmosphère de craintes, de frayeurs, d’appréhensions douloureuses pour l'avenir, avait rapproché les uns des autres, les voisins, les amis, les parents, et d'un commun mouvement les avait tous portés vers Dieu.
La guerre ! Quel horrible mot ! et encore, combien on ignorait ce qu'elle serait !
La guerre ! Quelles en seraient les victimes ? Car il y en aura sûrement ; qui paiera de sa vie la défense de la Patrie ; quelles sont les familles désignées pour le suprême sacrifice ?
La guerre aussi, quel châtiment ! Tous ne le voulaient pas dire ouvertement, mais chacun le pensait ; oui, châtiment. La France a tant à expier. Mon Dieu, ne nous traitez pas avec trop de rigueur ; si iniquitates observaris, quis [?]. Mon Dieu, les victimes, ne les prenez pas trop en notre paroisse ; mon Dieu, épargnez les nôtres ; épargnez nos familles…
Dieu qui connait sa créature humaine est indulgent sans doute devant cet égoïsme de la prière ; il semble si naturel de penser d'abord aux siens. Mais chacun se sentait si dépendant des événements qui se préparaient, chacun se sentait tellement dans la main de Dieu qui les dirige, que toutes les pensées allaient vers lui, que tous les cœurs lui demandaient secours.
La guerre était déclarée, la mobilisation générale commencée ; par groupes et suivant les dates de départ, les hommes appelés ne quittaient pas la paroisse sans avoir demandé le secours de Dieu.
On assistait à une messe de départ, on s'empressait pour recevoir ou renouveler le scapulaire ; un certain nombre (trop peu en vérité) se confessèrent et firent la Sainte Communion. Mais tous ou presque partirent munis des bénédictions de l'église.
Et bien longtemps après la mobilisation, l'assistance quotidienne à la messe persista [chez] de nombreuses personnes ; quand cela diminua, on établit une messe par semaine pour les soldats de la paroisse ; cette messe fut un succès, et pendant longtemps l'église chaque fois se trouva remplie. On en profita pour susciter simultanément au mouvement religieux, un mouvement charitable, et la quête faite à cette messe hebdomadaire pour les œuvres de guerre manifesta les dispositions généreuses de la paroisse.
Du reste, Bomy répondit à tous les appels charitables du temps de guerre, dans la mesure de sa capacité, et toutes les quêtes faites à l'église ou à domicile, à l'instigation de l'autorité religieuse ou de l'autorité civile, obtinrent un résultat qui l'honore.
Ce mouvement de charité se maintint et se maintient avec plus [de] durée, que hélas ! ne sut tenir le mouvement religieux.
Causes qui diminuèrent cette première ardeur
Le mouvement religieux qui se manifesta au début de la guerre ne s'éteignit jamais complètement dans les grandes lignes ; ainsi, pendant toute la durée de la guerre les communions restèrent notablement plus nombreuses qu'en temps normal, surtout en certaines circonstances de l'année, comme par exemple à l'Adoration, à la fête du Saint-Rosaire, en certaines circonstances où l'on organisait des cérémonies pour les soldats vivants ou morts, et surtout chaque année à la fête du Sacré-Cœur. Mais à part ces circonstances, où la pensée de la guerre, où la pensée des combattants exposés à tous ces dangers, était spécialement avivée dans les âmes, les habitudes anciennes avaient repris leur cours, et le premier mouvement religieux s'était considérablement affaibli. Et ceci s'explique par différents motifs :
- La durée de la Guerre. Le retour vers Dieu provoqué par l'imminence du grand danger que constitue une guerre, ne résista pas à la longueur du fléau ; on s'habituait pour ainsi dire au danger, et puis quelles que soient les dispositions de l'âme, l'intérêt matériel reprend ses droits ; il fallait vivre, il fallait s'adonner au travail quotidien, et d'autant plus que, les hommes partis, bien des bras manquaient aux travaux de la culture ; aussi, peu à peu, à tous les foyers, la vie reprenait son cours, et de jour en jour l'église voyait diminuer l'assistance aux offices quotidiens du matin et du soir.
- La présence prolongée des troupes alliées. Lorsqu'au mois de novembre 1914, nous vîmes arriver vers nous les premières troupes, cherchant quelque repos (et ce fut le 7e dragons de Fontainebleau) les pratiques fréquentes de piété subsistaient à peu près comme aux premiers jours. L'arrivée des soldats provoqua aussitôt une diminution de ferveur. On fut occupé d'eux ; on les traita d'ailleurs avec sympathie, reconnaissance et partant générosité.
Il restèrent à Bomy tout le mois. Quelques jours avant Noël, arrivèrent des troupes anglaises en cantonnement. C'était le 2e hussards. Ces soldats étaient nombreux ; les maisons de la paroisse en reçurent toutes un ou plusieurs. Comme ces troupes étaient au repos, les soldats étaient au foyer les compagnons continuels de leurs hôtes ; cela constituait de la distraction ; c'était aussi la sécurité de voir de près nos alliés, cela apportait courage et confiance ; et de même que le mouvement religieux avait procédé surtout de sentiment de crainte que la guerre provoquait, le réconfort et le commencement de sécurité qu'apportait la présence de nos alliés, émoussa la premier élan de retour vers Dieu ; passé le danger, finie la peur ; et l'on vit malheureusement nombre de paroissiens s'éloigner et s'abstenir alors de la messe du dimanche (qu'ils entendaient autrefois régulièrement), sous un prétexte ou sous un autre, mais qui au fond ne les excusaient pas.
C'est que malgré les tristesses de la guerre, malgré les dangers toujours réellement menaçants, malgré les deuils qui désolaient plusieurs familles, les circonstances avaient éveillé dans l'esprit des populations un sentiment qui étouffait trop tous les autres.
- La prédominance des intérêts matériels. Ce fut pendant la guerre une remarque générale : les troupes alliées, les anglaises particulièrement et les américaines, avaient le porte-monnaie bien garni ; nos populations vendaient leurs produits à des prix qui se firent de jour en jour plus excessifs.
Il n'y eut plus de limites, et ce fut pour nos paroisses rurales le commencement de gains énormes qui les trouva très sensibles. On s'ingénia alors à produire davantage, on s'ingénia à trouver mille moyens de placer ses produits ; beaucoup se firent restaurateurs, grands ou petits. Tout cela c'était de l'occupation, de la préoccupation, qui ne laissait guère de temps aux exercices pieux, voire même quelquefois aux pratiques religieuses les plus rigoureusement prescrites, si bien qu'on en arrivait, après un premier élan si généreux, à constater de la part de quelques-uns, l'abandon de ce qui est le strict devoir. L'intérêt matériel qui consistait en l'amour du lucre, se manifesta aussi en l'amour des plaisirs. La présence des troupes, de celles surtout qui séjournèrent plus longtemps, créèrent de nouvelles relations dans nos populations, au détriment parfois de ce qui se doit à la moralité. J'ai le plaisir d'ajouter aussitôt que rien ne se passa ici de gravement regrettable, et que la population, dans sa presque totalité, sut pratiquer largement et généreusement l'hospitalité du temps de guerre, sans se départir d'une tenue digne, honorable et chrétienne.
Organisation du service religieux
Aux différentes périodes de la guerre-Œuvres de guerre-Fêtes-Cérémonies-Incidents notables
Comme il est dit plus haut, à Bomy comme du reste en toute la région, on mit à profit le mouvement religieux pour multiplier à l'église les exercices pieux. Outre la messe et le salut quotidien qui ne se maintinrent qu'un temps, on établit ici avec grand succès la célébration d’une messe hebdomadaire, à toutes les intentions de guerre de la paroisse ; l'assistance très nombreuse qui se groupa ainsi, une fois chaque semaine, aux pieds des autels, indiqua que cette institution plaisait à une population trop disséminée en des hameaux éloignés, pour se réunir en son église chaque matin, même au temps du plus grand des fléaux. Cet éloignement du centre de la localité était d'ailleurs après quelques mois l'excuse de beaucoup de ceux qui délaissèrent les saluts du soir.
Lorsque parvinrent dans la paroisse les nouvelles des premiers décès, la consternation s'empara de la population, et vingt-trois fois, à l'occasion des services funèbres , elle se réunit au complet peut-on dire, afin de prier pour les victimes et pour se montrer sympathique aux malheureuses familles si éprouvées.
En ces circonstances d'ailleurs, on organisait des chants funèbres dignes d'une grande église ; le temple saint s'ornait de teintures funèbres et de maintes drapeaux aux couleurs des alliés, et surtout, M. le doyen ne manqua jamais de tirer de ces douloureuses circonstances, les leçons qu'elles comportent, en même temps qu'il apportait aux familles les consolations religieuses.
Les vêpres du dimanche, au cours de la guerre, furent souvent l'occasion de cérémonies touchantes organisées en faveur des soldats morts ou vivants ; en ces circonstances, la paroisse de Bomy n'a jamais manqué de manifester ses sentiments religieux.
Toutes les cérémonies religieuses prescrites par l'autorité diocésaine, funèbres ou autres, n'ont jamais non plus manqué de donner lieu à un concours nombreux de la population dans son église. En ce sens, une mention est due à la fête annuelle du Sacré-Cœur pendant la guerre, et qui fut célébrée quasi à l’égal d'une fête obligatoire.
Confessions et communions, nombreuses et ferventes, processions aux flambeaux, dont le souvenir restera longtemps dans les mémoires…
Bien peu d'incidents notables sont à noter ici. À l'occasion de la guerre, les choses se sont passées ici comme ailleurs ; assez rapprochés de la ligne de feu, nous entendions fréquemment les bruits lugubres et menaçants.
L'avance du 9 avril 1918 dans la région de Bailleul jusque La Bassée, en passant par Hazebrouck, Lillers, Béthune, nous rapprocha du front de 20 kilomètres en l'espace de 24 heures ; on eut des craintes sérieuses d'évacuation, on fit des préparatifs, qui grâce à Dieu se virent inutiles. Entourés de champs d'aviation, nous eûmes dans les huit derniers mois de la guerre, nos nuits souvent troublées par de nombreux passages d'avions, par des combats aériens au dessus de nos toits, par des explosions de projectiles, dans le très proche voisinage, et même sur la localité, sans toutefois qu'il s'en soit suivi des accidents. Voilà pour les incidents de guerre proprement dite.
Faut-il noter que le lundi 18 janvier 1915, entre Bomy et Erny-Saint-Julien, eut lieu une revue de troupes anglaises par le maréchal French. Était présent l'héritier du trône d’Angleterre, le Prince de Galles.
Visite épiscopale de la troupe canadienne cantonnée à Bomy en mai-juin 1918 ; un évêque canadien Mgr Malloy, voyageant en France pour visiter ses soldats catholiques, vint à Bomy le 2 juin, assista en notre église à une messe célébrée à midi par M. l'aumônier ; parla à ses diocésains soldats en anglais, puis en français, et administra à trois d'entre eux le sacrement de confirmation. Reçu à midi à la table du général, il quitta la paroisse l'après-midi du même jour, se dirigeant vers Pernes.
Trois soldats anglais, morts à Bomy, sont enterrés en notre cimetière. Nous conservons copie de l’inscription écrite sur la croix de leur tombe.
Statistique
- Mobilisés : 140
- Morts : 23
- Blessés : 12
- Disparus : 0
- Décorés : 14
- Promu officier : 1
Notes
- ↑ Transcription par Ivan Pacheka pour Wikipasdecalais.