Conférence du curé de Givenchy-en-Gohelle sur sa paroisse durant la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l'histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Givenchy-en-Gohelle, l'abbé Henri Legru, établit sa conférence sur la vie de ses paroissiens pendant la guerre. Ce témoignage est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 101. Nous vous en proposons ici la transcription.


Transcription

Conférence sur les pays ravagés par l'Allemagne et en particulier sur celui de Givenchy-en-Gohelle

Remarquons tout de suite comment Edgar Quinet, dès 1831-1842, juge le nationalisme allemand :

« L'Allemand, le gallophage, vient en France, à Paris, pour observer, espionner et tuer ses hôtes.

La haute vertu qui le distingue, c'est de ne faire aucune acception de personnes et souvent j'ai vénéré en silence cet héroïsme qui consiste à se repaître d'abord de ceux qui vous on tendu la main. Le gallophage n'a aucune des faiblesses de la vie ordinaire. Dans ce sac de la cité, vous espérer le désarmer par une hostilité empressée, qu'il accepte. Point de grâce ! Vous tomberez le premier sous la massue. Choyé par vous, au même instant il vous lèche en français et vous écorche en allemand. Je frappe qui m'assiste. C'est ma devise. »

(Un prophète, Edgar Quinet, édition nouvelle de ses articles sur l'Allemagne, d'après les textes originaux, avec commentaire, par Paul Gauthier, librairie Plon, Paris, 8 rue Garrencière, 3,50 F).

De ce témoignage d'Edgar Quinet rapprochons la lettre de l'ex-empereur allemand à son cousin d'Autriche, avant la longue et terrible guerre qui a semé partout la désolation et le deuil :

« Mon âme se déchire, dit l'ex-empereur, mais il faut tout mettre à feu et à sang, égorger hommes, femmes, enfants, vieillards, ne laisser debout ni un arbre ni une maison. Avec ces procédés de terreur, les seuls capables de frapper un peuple aussi dégénéré que le peuple français, la guerre finira avant deux mois, tandis que si j'ai des égards humanitaires, elle peut se prolonger pendant des années. Malgré toute ma répugnance, j’ai donc choisi le premier système. »

Cette lettre qui est entre les main des membres de la Conférence qui ont travaillé à établir le traité de paix nous donne une triste idée de la fameuse culture allemande.

L'armée ennemie n'a pas manqué d’exécuter les bons ordres de son auguste Kaiser. Trop de faits accusent la barbarie teutonne en Belgique et dans la France occupée pour qu'il soit nécessaire de les rappeler : sont présents à la mémoire de tous.

Et pourquoi des rigueurs toutes spéciales envers le clergé et envers les évêques leurs chefs ?

Les Allemands n'en font pas mystère : intelligents, patriotes, les prêtres sont pour eux des suspects, et ils considèrent les évêques comme les « chefs de l'espionnage ». Enlevez « espionnage » qui répond aux idées des Allemands en matière de patriotisme, dites seulement : résistance, rappel constant de la France absente, évocation des cimes spirituelles où la patriotisme prend sa source : vous comprendrez pourquoi tous les prêtres, pour tous les envahis, ont été des guides, des soutiens et des chefs.

Une race d'hommes féroces et grossiers, genus hominum ferum incultumque pour leur appliquer le mot de Salluste, rencontrait devant elle une élite d'hommes rappelant la belle et douce France, qui sait bien penser et bien faire.

Arrivons maintenant à Givenchy-en-Gohelle, village aujourd'hui ravagé et complètement détruit par la guerre.

Le samedi 3 octobre 1914, la bon doyen de Vimy, M. l'abbé Joseph Delecroix, disait dans mon presbytère : « je viendrai bientôt venir me fixer ici, car que voulez-vous que les Prussiens viennent faire à Givenchy ? ». Cependant, ces derniers ne tardaient pas à s'amener, parce qu'ils connaissaient parfaitement notre pays. Avant la mobilisation, un lieutenant prussien, qui vivait maritalement avec une autrichienne, avait le train de maison d'un grand seigneur et il faisait de l'espionnage dans la mine du Transsvaal, n° 6 de Liévin, où il travaillait comme un simple mineur.

Les monts de Givenchy, désormais historiques comme le bois de la Folie, offraient une position stratégique de premier ordre. C'étaient les collines de l'Artois avec leurs tranchées naturelles et, de ce point culminant, on dominait la plus grande partie du bassin houiller de la région. « Les positions sont excellentes, disait le dimanche matin 4 octobre 1914 le général de Castelnau, faisons tout pour les garder ». Mais, hélas, la chose n'était pas possible. Le 4 octobre à midi, en ma maison où je l'avais invité à dîner, un lieutenant me disait :

« Tout à l'heure nous étions trois soldats à Liévin pour défendre cette ville. Que faire dans ces conditions sinon nous retirer, ou plutôt nous replier ? »

C'est d'ailleurs ce qui ne devait pas tarder de se produire.

Le dimanche 4 octobre 1914. Nous avons orné notre belle église comme aux plus grandes jours de fête, pour glorifier la Reine du très haut saint Rosaire, le dimanche 4 octobre 1914, et faire, à l'issue des vêpres, la procession au cimetière, au chant des litanies de la sainte Vierge. Mais je n'ai pu dire que la première messe. La grand-messe ne put être chantée, faute d'assistants, la plupart des paroissiens se disposant à prendre la fuite. Les quelques civils qui restaient aidaient nos fantassins à faire des tranchées, ou plutôt des fossés très peu profonds, de simples rigoles dont les Prussiens, après les avoir vues, mesuraient l'importance par un sourire.

Pendant ce temps, les deux artilleries de campagne, française et allemande, faisaient rage. La nôtre occupait toutes nos collines et son tir était très rapide et très efficace. Le tir de l'artillerie allemande, au contraire, était fort peu précis et d'une efficacité nulle. Leurs obus éclataient à un km de nos batteries, dans un champ de betteraves, en face du presbytère. Nos soldats s'en amusaient beaucoup et ils avaient pris les bancs et les chaises de l'église pour s'élever à la hauteur du mur du cimetière et se rendre bien compte de ce qui se passait.

C'est alors que je fus prié par deux jeunes personnes (elles n'avaient pas 15 ans), [mademoiselle] Adèle Detournay et sa cousine, [mademoiselle] Leclercq, de me rendre à la mairie où se mourrait un fantassin français qui avait eu les intestins perforés, le vendredi précédent à la bataille de Rouvroy. J'admirais le courage de ces enfants qui avaient traversé tout le village et affronté les obus pour avertir le prêtre, sur un chemin où un homme du pays était tué peu après. J'arrivais à l'heure et administrais ce brave soldat de Paris appartenant à l'armée territoriale.

Pendant le jour, les deux artilleries seules donnaient et elles préparaient la bataille d'infanterie qui avait lieu la nuit. Le 23e dragons aux environs de l'église et le 27e à la Place-Basse appuyaient nos fantassins. Les Prussiens se trouvaient dans le petit bois qui existait dans la direction de Liévin. Nos soldats et leurs ennemis tiraient un peu au hasard et ils n'entendaient que les commandements des chefs avec le crépitement de la fusillade. Un officier du 27e dragons fut tué, et nos poilus, après un combat acharné, furent forcés de battre en retraite et de se replier sur Neuville-Saint-Vaast.

Cependant la nuit fut épouvantable. Les maisons de la partie basse du village brûlaient et nous entendions les gémissements des gens qui habitaient ce quartier particulièrement éprouvé. Nous entendions aussi non pas, hélas, le clairon français, mais la musique prussienne ou plutôt bavaroise. Je me levais à une heure du matin et allais ramasser dans la cour du presbytère et sous la tour de l'église les couvertures que j'avais prêtées à nos braves combattants qui avaient été heureux, avant de quitter la maison pour ne plus revenir, de manger les confitures qui s’y trouvaient. Ils avaient besoin d'être traités avec douceur, nos poilus qui allaient avoir tant à combattre et à souffrir pour avoir raison de l'ennemi. Et dire que, parmi eux, certains pensaient au commencement d'octobre 1914, toucher à la fin des hostilités ! Il avait peut-être cet espoir, ce brave lieutenant de dragons qui prenait une clef de ma maison pour pouvoir, avec ses camarades, entrer chez moi la nuit, à 1 h et y prendre une collation. Ni lui ni la clef ne sont revenus. Il faut dire que j'allais n'avoir plus besoin de mes clefs, les Prussiens qui étaient sur le point d'arriver voulant que toutes les portes fussent ouvertes, dans la crainte d'espions qui auraient pu passer par là, et même par les fenêtres !

Lundi 5 octobre 1915. D'ailleurs, pour s'assurer que nous ne cachions personne, le lundi 5 octobre, à 11 h ½ du matin, huit soldats ennemis s'amenaient au presbytère et ils demandaient qu'on ouvrît la porte de l'église. Ce qui fut fait. Quatre soldats entraient dans la maison de Dieu et ils y faisaient une prière. Les quatre autres restaient dehors et ils attendaient la fin, qui ne tarda pas à arriver, comme du reste l'armée ennemie qui avait envoyé cette avant-garde.

Le mardi 6 octobre, à 10 h ½ du matin, au moment où ma sœur et moi nous sortions de la sacristie, nous apercevions un soldat avec un pic qui se disposait à enfoncer la porte du presbytère. Ennuyé d'être surpris, il feint d’avoir soif et demande à boire. Mais il avait surtout soif de dévaliser ma maison.

Le soir, à 5 ½, une autre scène se passe. Les ennemis rodent autour du presbytère et ils tirent deux fois dans la fenêtre de l'arrière-cuisine parce qu'ils avaient vu une lampe-pigeon qui était allumée. Ma sœur, se croyant arrivée à sa dernière heure, me demande de lui donner l'absolution. Ce n'était point notre dernière heure qui était arrivée, mais plutôt celle de notre captivité et de nos souffrances morales, au milieu d’une armée qui s'était signalée jusque-là par ses brigandages et sa barbarie.

Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que quelques soldats, baïonnette au canon, vinrent cette fois frapper à la porte du presbytère et s'écrier : « Pastor, prisonnier, vite, en avant ». Il n'y en a pas deux. Un seul suffisait vraiment en la circonstance.

Me voilà sous le portail de l'église, avec les bons vœux du village, content de me voir arriver, et une bonne vieille dont la tête était plutôt perdue et ne comprenait pas du tout ces manœuvres ; mais nos ennemis étaient sans pitié et ils prenaient même comme prisonnier un homme très malade, qu'ils finirent par abandonner, dans la crainte qu’il ne mourût dans leurs mains. Le malheureux regagna péniblement sa maison… mais il avait été soulagé de sa montre. La vieille de tout à l'heure en fit autant mais elle ne retrouva plus que les murs de son foyer.

Je passais la nuit sur une civière pendant que les autres prisonniers étaient couchés sur la paille. Il va s'en dire que nous n'avons pas dormi, surveillés et souvent inquiétés comme nous l'étions. Nous le fûmes en particulier à cause des fusils Lebel qui se trouvaient à la mairie :

«  Monsieur le curé, vint me demander en colère un officier, pour qui des fusils Lebel à la mairie ? »

« - Parce que, répondis-je, les fusils Lebel appartiennent aux sapeurs-pompiers qui, en France, font partie de l'armée, et, s'ils ont été posés là, c'est par mesure de précaution en votre faveur, afin d'éviter aux civils la tentation de s'en servir contre vous. »

J'avais à peine dit cela qu'une autre voix se faisait entendre dans la rue, ordonnant de dynamiter la mairie : « Dynamiter tout cela ». et mon voisin de droite de me dire doucement : « Ils sont joliment furieux, monsieur le curé. Demain matin nous serons tous fusillés ».

Toutefois, les autres prisonniers étaient plus confiants et j'étais de ce nombre. Certains même n'avaient pas, dans l'épreuve, perdu l'esprit gaulois. « je les ferai mettre dans la gazette » disait l'un. « En route pour Berlin » s'écriait l’autre. Je recevais parfois l'ordre de les faire taire et je leur donnai l'exemple… du silence.

Le matin du 7 octobre, ma sœur nous apportait un verre de vin bien chaud et bien sucré et, sans le dire, nous buvions à la santé de nos armées françaises et alliées.

Le 7 octobre, à midi, je pouvais rentrer au presbytère, où j'étais gardé à vue comme un homme suspect et dangereux. Les autres compagnons de ma captivité, même des vieillards de 80 ans et plus, étaient tenus enfermés dans l'écurie d'un cabaret du village et étendus sur la paille, qui n'était presque jamais renouvelée ; ils ne sortaient que pour des corvées –et parfois quelles corvées !- auxquelles l'ennemi les condamnait.

Le vendredi 9 octobre 1914, s'amenait au presbytère une ambulance prussienne qui n'était pas trop mal constitué ni, apparemment du moins, mal disposée à l'égard de M. le curé. Le médecin-chef n'était pas un ivrogne du tout et s'il venait prendre souvent du café à la cuisine, c'était pour avoir un prétexte de me surveiller.

Il faut dire que lui et ses subordonnés avaient aussi autre chose à faire, surtout la nuit. Des centaines de blessés arrivaient en auto du front de Notre-Dame de Lorette et ma grande église, jusqu'aux marches de l'autel, en était remplie. Il y avait des salles d'opération à la sacristie, à l'école des filles et dans les maisons avoisinant l'église et converties en autant d'ambulances.

Nous entendions les cris déchirants des soldats à qui on amputait soit une jambe soit un bras. Et parmi ces blessés, il y avait des blessés qui étaient heureux de voir le prêtre, leur prêtre, de se confesser et de communier. La joie de ces derniers était partagée par les malades de la paroisse pour qui ma présence était féconde en consolations merveilleuses.

La plupart du temps, je me faisais accompagner par un des médecins de l'ambulance logeant au presbytère et qui se rendait volontiers auprès des infirmes. Ceux-ci sont morts dans les meilleures dispositions, après avoir reçu les sacrements de notre mère la Sainte Église. C'est le cas de répéter le mot de Louis Veuillot : « Pendant la guerre, les biens et le corps périssent, mais les âmes se sauvent. »

Toutefois, l'enterrement des ces braves gens ne pouvait se faire qu'avec toutes les permissions de la Kommandantur. Les formalités à remplir étaient les suivantes : faire sortir de la prison le menuisier qui devait confectionner le cercueil ; demander des porteurs, eux aussi prisonniers ; aller au cimetière à l'heure indiquée, quelquefois entre les deux feux d'artillerie, française et allemande. Et ces formalités demandaient du temps. Ainsi l'enterrement du soldat parisien mort le dimanche 4 octobre, à la mairie, n'avait lieu que le jeudi 8, parce qu'il m'avait été impossible de sortir avant cette date. Le lendemain, c'était l'enterrement de cet homme qui avait été tué par un éclat d'obus dans sa cour, en allant puiser de l'eau, le dimanche du Rosaire. Je l'avais vu la veille, et il n'était pas encore enseveli, abandonné qu'il était sur un lit, sans draps ni couvertures, noir ou carbonisé et plus noir qu'un mineur rentrant de la mine. Dans ces circonstances, je n'agissais pas seulement comme curé mais comme maire de Givenchy-en-Gohelle, pendant la guerre. Pas un seul membre du conseil n'était resté à son poste et c'est peut-être la seule commune, parmi celles qui ont été envahies, qui n'ait pas été défendue au moins par l'un de ses édiles. Les Prussiens en ont manifesté un grand étonnement et ils m'ont dit qu'ils auraient même exercé des représailles particulièrement contre le village si le curé avait imité la conduite des membres du conseil municipal.

En vertu de mes nouvelles fonctions, j'ai pu intervenir plusieurs fois, avec succès, en faveur des gens du pays qui étaient restés avec moi.

À certains jours, la Kommandantur m'envoyait à la cure, par un soldat, de l'argent qui avait été trouvé dans les maisons de Givenchy. Je signai un reçu comme curé-maire de Givenchy.

En cette double qualité, j'étais prié aussi d'écrire au maire d'Avion afin de lui demander des personnes capables de travailler pour les soldats blessés. Ah ! L'ironie des circonstances ! Un prêtre qui écrit à un maire socialiste ! Ce dernier s'était porté malade et c'était un moyen, comme un autre, de tourner la difficulté de l’heure présente.

J'avais désigné un homme d’âge et de bon sens, monsieur Louis Landru, pour emplir les fonctions d'adjoint. Cette nouvelle autorité fut reconnue par les ennemis qui laissaient circuler M. Landru, surtout quand il allait voir le maire de la commune.

Nous avons travaillé ensemble et nous avons réussi, en gagnant du temps, à ne pas verser, entre les mains des Allemands, les 25 000 F qu’ils réclamaient comme contribution de guerre. Nous avons tenté quelques démarches à Lens et à Liévin pour témoigner de notre bonne volonté, et l'un des médecins de l'ambulance qui se trouvait au presbytère voulut me rassurer par des mots : « On dit en Allemagne que là où il n'y a rien l'Empereur perd ses droits ». C'était un adage dont l'application à Givenchy-en-Gohelle me paraissait tout à fait opportune.

Cependant le service sanitaire prussien allait être remplacé par le service sanitaire bavarois et ce changement nous était absolument défavorable. Les médecins entraient chez nous comme chez eux et ils introduisaient deux soldats dans la cuisine. Et il était facile de voir qu'ils voulaient nous mettre dehors. On eût dit qu'ils arrivaient non pas tant pour soigner les blessés que pour boire. Pour cela aussi, le médecin-chef se plaçait tout de suite à la tête du mouvement. On buvait le jour, et plus encore la nuit. Et le matin, en me levant, j'apercevais non pas un régiment de soldats mais... des bouteilles vides. C'est ainsi que ces fricoteurs envisageaient leur mission et, pendant qu'à quelques distance de là leur soldats se faisaient tuer, eux buvaient et chantaient.

Mais nous les gênions, et alors, pour se débarrasser de nous et nous faire accepter un changement, ils devenaient chaque jour plus arrogants. C'était du reste la même attitude pour les autres civils :

«  - Mettez, leur disait-on, votre horloge à l'heure allemande : car vous êtes et vous resterez allemands. »

Et à une femme du pays lui demandant combien il avait payé un lièvre tué par lui sur le territoire, un officier allemand répondait : « Tout nous appartient, les lièvres et le reste ».

Et puis, les prêtres de l'armée ennemie, allemands avant tout, na paraissaient plus. Et pourtant l'aumônier divisionnaire avait dit à ma sœur :

« - Vous vous donnez beaucoup de mal, mademoiselle, pour nos médecins et nos blessés, mais vous sauverez votre mobilier qui est beau. »

Nous ne devions pas tarder à savoir à quoi nous en tenir.

Un Allemand se déguisait en femme et il voulait surprendre ma bonne foi en me demandant le chemin le plus direct qu'il fallait prendre pour gagner les lignes françaises en passant par Souchez. Je lui recommandai de se mettre en règle avec l'autorité militaire allemande.

Ensuite on m'accusa d'avoir mis ou laissé mettre des fils téléphoniques dans mon jardin, comme, au début de l'occupation, l'aumônier accusait lui-même nos mineurs de se cacher dans les mines et de tirer sur leurs soldats :

«  - Voyez, vous êtes des mineurs cachés dans les mines et tirant sur des Prussiens !! »

Ce n'étaient que des prétextes pour arriver à autre chose.

Le commandant de place, aidé d'un capitaine, protestant féroce et sectaire, faisait des perquisitions dans tout le presbytère et même l'église.

Ensuite, j'étais appelé à la Kommandantur pour aider, comme maire, le commandant à évacuer, en partie du moins, le village. Quelques jours s'écoulaient et, le 1er décembre 1914, nous prenions, les vieillards et moi, le chemin de Douai et nous abandonnions tout ce que nous avions entre les mains de ces bandits. Toutefois ces derniers, avant notre départ, nous assuraient que nous n'avions rien à craindre pour notre maison. Elle aurait toujours été occupée par des officiers et ils allaient la recommander au commandant. Ah ! les fripons, les menteurs et les fricoteurs de ce temps-là.

Les Prussiens s'efforçaient de convaincre nos bons paysans qu'ils ne partaient que pour quelques temps afin qu'ils ne prissent pas beaucoup d'affaire et qu'ils leur abandonnassent ainsi tout ce qu'ils possédaient. Ce sont des procédés de brigands.

Nous arrivions à Douai le 1er décembre à midi, conduits, ma sœur et moi, par une voiture de l'ambulance qui mettait plus de six heures pour faire la route. Les autres paroissiens qui restaient à Givenchy-en-Gohelle devaient être évacués sur Wallers au commencement du mois de mai 1915.

J'avais des nouvelles de ces derniers et pouvais m'occuper plus spécialement de ceux qui étaient réfugiés à Douai et à Férin. J'ai eu la consolation de voir mourir chrétiennement plusieurs vieillards et conduisais moi-même au cimetière leur dépouille mortelle.

Le dimanche des Rameaux en l’année 1915, j'allais chanter la grand-messe à Férin et je prêchais aux deux messes à nos réfugiés et aux gens de l'endroit.

Le 9 mai 1915, nous avions espéré être délivrés à Douai. Les Allemands avaient enlevé leur artillerie lourde de Vimy et leurs fils téléphoniques dans la ville où nous étions réfugiés. Mais, hélas ! nos renforts n'arrivèrent pas à l'heure et le bois de la Folie ne devait être repris par la vaillante armée canadienne que le 9 avril 1917 et Givenchy était délivré par l'armée anglaise le vendredi 17 avril de la même année.

Toutefois nous n'avons plus qu'à pleurer sur des ruines, et peut-être pas un pays occupé par l'ennemi n'a autant été ravagé que le nôtre. Puissent ces ruines se relever dans quelques années et puissions-nous assister en même temps au relèvement religieux et moral de notre chère patrie !


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Notes