La Grande Guerre à Thiembronne racontée par son curé

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Le registre de paroisse de Thiembronne comporte quelques pages rédigées par le prêtre de la paroisse, Oscar Cantraine, dans lesquelles il raconte le passage des troupes de toutes nationalités dans le village et l'état d'esprit de la population selon les époques. C'est son récit que nous avons retranscrit ici.


« Le 2 août 1914, le tocsin retentit. C’est l’appel aux armes. Bientôt tous les hommes valides, de 20 à 48 ans seront sous les drapeaux. Beaucoup s’approchent des sacrements avant de quitter la paroisse.

Pendant que nos soldats défendent le sol sacré de la Patrie, ceux des paroissiens qui gardent les foyers, prient pour le succès de nos armes. Les communions sont plus nombreuses, surtout les jours de prières nationales. On assiste nombreux au salut et à la récitation du chapelet deux fois par semaine, même chaque jour pendant le mois de Marie et le mois du Rosaire.

Malheureusement, la guerre dure trop longtemps, on se lasse de prier, l’assistance au salut diminue progressivement, et à la fin de 1915, elle est vraiment par trop restreinte. Il est vrai que la présence des Anglais y est pour quelque chose.

Aux premiers services chantés pour les victimes tombées au champ d’honneur, l’église est comble et les larmes coulent. Peu à peu on s’habitue aux coups répétés qui frappent la paroisse. On assiste moins nombreux aux services funèbres. La sympathie pour les familles en deuil diminuerait-elle ! Mystère et égoïsme !!

Durant près d’un mois, du 25 avril au 22 septembre, Thiembronne héberge un régiment de la garde royale irlandaise. Beaucoup sont catholiques et des plus édifiants par leur foi agissante. On se souviendra longtemps ici de ces fiers chrétiens qui deux fois par semaine remplissaient l’église pour la messe militaire, et le soir pour la bénédiction du Saint Sacrement. Quelle tenue irréprochable ! presque tout le temps à genoux, le livre et le chapelet à la main. Recueillement exemplaire. L’aumônier passe de longues heures au confessionnal, surtout la veille du départ pour le front, et ce jour-là 350 de ces hommes ont communié. Pour beaucoup, ce fut le viatique suprême : quelques jours après ils tombaient nombreux à l’attaque de Loos-en-Gohelle. Leur aumônier mourut lui-même victime de son dévouement.

Ce même jour du départ 22 septembre, un de leurs sergents, qui avait communié le matin, était tué accidentellement par l’éclatement d’une grenade dont il montrait le maniement à ses hommes. Son corps repose dans le cimetière de Thiembronne, en haut, la 1ère tombe à droite !

À la fin de 1915, la paroisse compte 10 morts, 9 prisonniers et 3 disparus :

  • Prisonniers :
    • Alfred Dubiez
    • Désiré Roussel
    • Charles Cardon
    • Léon Fournier
    • Elie Porquet
    • Aimé Pourchez
    • Eugène Dubiez
    • Louis Decroix
    • François Cadet

1916. La guerre continue. Depuis octobre 1915 la paroisse loge un fort contingent de cavalerie anglaise avec son état-major. Ils sont presque tous protestants. Ils sont loin d’être comme les Irlandais un sujet de bonne édification.

Après sept mois d’un repos qu’ils apprécient chez nous, nos hôtes nous quittent le 5 mai, pour aller dit-on continuer… à se reposer à Lumbres. Soupir de soulagement pour beaucoup de familles !

Fin mars, nous avons appris qu’au cours de la bataille de Verdun, deux des nôtres avaient encore été fait prisonniers. Ce sont Sylvère Canut et François Noyelle. D’autre part, on est sans nouvelles de Charles Podevin qui se trouvait dans la même région. Sous les ordres du colonel Driant, il est probablement tombé au bois des Caures, avec son vaillant chef.

La bataille de Verdun, commencée le 21 février 1916 et qui ne se terminera que le 2 novembre par la victoire de nos armes, après des alternatives de revers et de succès, dont les forts de Douaumont, de Vaux, de Thiaumont, de Souvelle, le Mort-Homme, et la côte 304 conserveront l’éternel souvenir, nous a fait deux nouvelles victimes :

1917. L’ennemi est toujours près de nous, à Ypres, à Lens, Liévin, Vimy, Arras, Bapaume. Aussi, la paroisse n’est pas longtemps sans troupes alliées à loger. Ce sont maintenant des Portugais qui font un séjour de cinq à six mois. La bataille de la Somme, commencée le 1er juillet 1916, prend fin le 24 mars 1917, par un brusque repli de l’armée allemande. Bapaume est délivrée avec beaucoup d’autres localités de la Somme. On respire plus à l’aise, on redoute moins l’invasion.

Cependant au cours de cette année, la paroisse aura à pleurer la mort de quatre de ses enfants :

Le clocher foudroyé. Le 25 juillet 1917, au cours d’un violent orage, la foudre tombe sur la pointe du clocher, ébranle la flèche en pierres, casse au passage un certain nombre de ses corbeaux qui en font l’ornementation, et secoue fortement un contrefort dont les pierres se détachant ouvrent une large baie dans la toiture de l’église. Le toit est réparé quelques mois après. Mais le clocher garde des plaies béantes, faute de matériaux et d’ouvriers. Nous attendons des jours meilleurs, avec l’espoir d’établir un paratonnerre qui nous mettra désormais à l’abri de pareils accidents.

1918. Les inquiétudes reprennent chez nos paroissiens à la suite de la défection russe qui est heureusement compensée par l’entrée en guerre de l’Amérique. Après les Anglais, les Australiens, les Néozélandais, nous donnons l’hospitalité à de superbes soldats de la libre Amérique.

Le 10 avril, on est pareillement impressionné par le retour d’un nombreux contingent portugais, qui fuit en débandade. L’ennemi est à Laventie, Lestrem, aux abords de Saint-Venant. Encore une étape ou deux de ce genre, et il est chez nous ! Frousse de beaucoup ! Bientôt ce sont de lamentables .. de femmes, d’enfants, de vieillards qui fuient l’invasion, n’emportant qu’un peu de hardes, et vont droit devant eux sans savoir où s’arrêter. De nombreux réfugiés se logent comme ils peuvent dans la paroisse ; ils viennent de Saint-Omer, région d’Armentières, Merville, Laventie, Saint-Venant, Locon, Béthune, Arras, Croisilles ou Bruay, quotidiennement bombardé. Il n’y a plus un vieil immeuble tant soit peu habitable qui ne soit occupé ! Pour ces réfugiés, il y a de belles familles d’une foi magnifique, qui impressionnent heureusement les paroissiens et dont les exemples de piété et de religion pourront laisser d’heureuses traces.

Mais voici de nouvelles émotions. Ce sont les avions ennemis qui passent presque chaque nuit au-dessus de nos têtes, allant semer les ruines et la mort, soit à Étaples, soit à Boulogne. Le ronflement sinistre de leurs moteurs jette la terreur dans bien des âmes. On redoute bombes et torpilles, surtout depuis que ces vilains oiseaux ont fait deux victimes à Fauquembergues.

Un champ d’aviation est installé par les Anglais dans la plaine qui s’étend entre la Bucaille et Drionville, ne serait-ce pas un point de mire pour l’ennemi ? La frayeur augmente, et pendant plusieurs nuits, les habitants de la Bucaille quittent leur maison et s’en vont coucher en plein air, à l’abri des bois et des talus. Ils se croient plus en sûreté ! Grâce à Dieu, nous n’avons pas de victimes de ce chef. Quelques bombes sont bien tombées dans les champs, mais sans dommage.

Malheureusement, de nouveaux enfants de la paroisse tombent pour la France, sur le front de bataille : c’est Gaston Lefebvre, tué le 15 juillet à la bataille de la Marne, c’est Florentin Prud’homme tué le 7 octobre 1918 !

Après la mitraille, voici une grippe infectieuse qui sévit partout, en Amérique comme en Europe et fait de nombreuses victimes. Gaston Cadet meurt à l’ambulance de Toul. Deux jours avant, Juvénal Hersent avait succombé au mal inexorable à l’hôpital de Beauvais.

Mais voici qu’approche la fin des épreuves. Le monde entier suit avec grande anxiété les péripéties de la lutte. Dès le 18 juillet, le jour même où le maréchal Foch consacrait ses armées au Sacré-Cœur, les Allemands commencent à lâcher pied : leur recul s’accentue tous les jours, sous la poussée irrésistible des armées alliées.

Enfin, quel soupir de soulagement, quelle joie quand le 11 novembre vers 1 heure de l’après-midi, nos clochers sonnent à toute volée ! Elles annoncent l’armistice humblement demandé par l’orgueilleux Teuton !

1919. L’année 1919 sera sans aucun doute l’année de la paix ! En attendant, elle est l’année de la vie chère ! Les œufs se sont vendus jusqu’à 22 francs le quart ; le beurre monte à 9 et 10 francs la livre ! Le porc gras vaut sept francs le kilo vivant, et les porcelets de 7 à 8 semaines coûtent 180 francs ! Les chevaux atteignent facilement de 4000 à 5000 francs, les vaches laitières 2500 francs et même 3000 ! Nos fermiers font des affaires d’or ! Pendant ce temps, la grippe continue ses ravages : elle nous enlève un des nôtres, Achille David. C’est la 25e victime de la paroisse ».

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