Conférence du curé Décobert sur l'histoire de la Grande Guerre à Groffliers-Waben

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Groffliers et de Waben apporte son témoignage sur ces communes pendant toute la guerre.


Ce témoignage, rédigé en juillet 1919 sur treize pages manuscrites, est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 106. Nous vous en proposons ici la transcription[1] ainsi que la possibilité de lire l'original.


Histoire de la Grande Guerre 1914-1918 dans la Paroisse Groffliers-Waben

Dans les paroisses de l'arrière surtout du Doyenné de Montreuil, les faits de guerre sont de peu d'importance. Cependant, pour répondre au désir de l'autorité Diocésaine, nous dirons tout simplement ce que nous savons.

Mouvement Religieux et Charitable

Dès les premiers jours de la guerre, il y eut un mouvement religieux assez sensible qui se prolongea pendant les huit premiers mois. L'assistance à la messe, surtout le dimanche, fut plus nombreuse, et le soir, au salut, deux fois chaque semaine, à Groffliers et à Waben, l'église était bien remplie de fidèles ; hommes et femmes. Le nombre des communions aux grandes fêtes et pendant la semaine, fut presque doublée. Pour les communions, il en fut ainsi pendant trois ans.

Bientôt des réfugiés arrivèrent de différents pays : de Belgique, de Lille, Armentières, Neuve-Chapelle, Merville, Pont-à-Vendin, Rouvroy, Maroeuil, etc… (de Lille) : Madale Boutemy, sœur de Monsieur Barrois, maire de Groffliers, Madame Delesalle-Boutemy, belle-fille du vaillant maire de Lille, Monsieur Charles Delesalle, Monsieur Charles Delesalle, fils, était lieutenant-aviateur à la fin de la guerre. Pendant la guerre, il venait en permission à Groffliers.

Les paroissiens de Groffliers et de Waben se montrèrent bons et compatissants envers ces malheureux qui, pour la plupart, avaient dû quitter leur pays sans avoir le temps d’emporter même les choses les plus nécessaires ; argent, vêtements, etc. Ils les recueillirent chez eux ou leur donnèrent un abri convenable. Il en fut de même pendant toute la durée de la guerre et jusque maintenant.

Causes qui diminuèrent cette première ardeur

Causes qui diminuèrent cette première ardeur – la longueur de l'épreuve – la présence prolongée des troupes alliées – la prédominance des intérêts matériels, etc.

À partir de la 2e plusieurs raisons, mais la principale n’était pas encore la longueur de l’épreuve. C'était plutôt les paroissiens qui devenaient rares. Les hommes étaient partis, les jeunes gens s’en allaient aussi à la caserne, et de là au front. La présence des troupes obligeait les femmes à garder les maisons. Voilà pourquoi l'église n’était plus remplie comme aux premiers jours de la guerre. Quelques paroissiens seulement ont cessé de fréquenter l'église à cause de la longueur de l'épreuve. Quelques-uns, toujours les mêmes, ne connaissant que la terre et l'argent, ont continué et continuèrent de faire ce qu’ils faisaient déjà avant la guerre.

Organisation du service religieux – Œuvres de guerre

Organisation du service religieux aux différentes périodes de la guerre – Œuvres de guerre – Fêtes, cérémonies, incidents notables, etc.

Pendant la guerre, la paroisse de Groffliers-Waben, fut l'une des rares paroisses du Doyenné de Montreuil qui eut le bonheur de garder son curé. À partir des premiers jours de la mobilisation jusqu'au 10 novembre, je fus chargé de la paroisse de Conchil et Colline pour remplacer Monsieur l'Abbé Dachez mobilisé. Le dimanche, la 1ère messe était dite à Conchil à 9 heures, et la Grand Messe à Groffliers à 11 heures.

Les habitants de Waben pouvaient assister à la messe, soit à Conchil, soit à Verton, soit à Groffliers ; ceux de Colline, à Tigny ou à Conchil.

Dans l’après-midi, il y avait toujours un salut à Waben pour la France et les soldats. À ce salut, on recommandait les morts, et on annonçait les offices de la semaine.

Le 10 novembre, Monsieur l'Abbé Joseph Delecroix Curé-Doyen de Vimy, obligé de quitter sa paroisse à cause de l'invasion, vint me remplacer. Il resta à Conchil assez longtemps, jusqu'au mois d’avril 1915. Il y fit un grand bien comme partout ailleurs. Il dut quitter cette paroisse à cause du retour de Monsieur Dachez renvoyé dans ses foyers pour un congé illimité. De là, Monsieur Delecroix se rendit à Étaples où il trouva pendant quelques semaines, un excellent accueil chez Monsieur le Doyen. Il fut ensuite nommé curé intérimaire de Verton, puis curé intérimaire de Beaurainville où il est encore actuellement.

Monsieur Dachez rentré à Conchil, put y remplir ses fonctions de curé jusqu'au 1er janvier 1916, jour où il fut rappelé pour les besoins de la patrie.

Le curé de Groffliers redevint donc curé de Conchil et Colline, ce qui dura jusqu'au 18 avril. À partir de ce jour, Monsieur Dachez put revenir à Conchil chaque dimanche et dans la semaine pour les différents offices.

Œuvres de Guerre

L'œuvre des orphelins de la Guerre

Cette œuvre est administrée par un Bureau Diocésain dont Monseigneur l'Évêque est le Président.

La 1ère année, la quête faite dans la paroisse produisit la somme de 72 fr 50 centimes. Mais l'année suivante, les offrandes furent insignifiantes à cause de la multiplicité des quêtes. Les personnes aidées par cette œuvre ne reçoivent plus rien. Qu'est-elle devenue au juste ?

Ferme de rééducation des mutilés de la Guerre

Il existe à Groffliers depuis 1917 une ferme de rééducation des mutilés de la guerre. Cette ferme dite ferme de la Molière appartient à Monsieur Théodore Barrois, maire de Groffliers et résidant à Lille. Madame Calvet de Berck-Plage, est présidente de cette œuvre qui reçoit d'abondants secours d'Amérique. Le Directeur-gérant est Monsieur Paul Tonnelé.

Les mutilés apprennent à cultiver la terre et à jardiner. Ils y sont comme des princes.

Depuis quelques temps, cette œuvre reçoit des jeunes gens de Lille qui viennent respirer l'air de la mer pendant un mois. Ils ne sont pas toujours faciles à diriger ; ils en ont tant vu à Lille pendant l'occupation allemande.

Fêtes, cérémonies, séjour de troupes

Toutes les prières et cérémonies ordonnées par l’Autorité Épiscopale ont eu lieu à Groffliers et à Waben ; les fidèles ont été invités à y prendre part, et ils ont répondu en grand nombre à l'invitation de leur curé.

Nous n'avons pas eu ici de soldats avant le 31 décembre 1915. Vers le soir arriva le 33e Dragons. Monsieur Lavallart (Père Jésuite) en était l’aumônier ; il logea au presbytère où il reçut le meilleur accueil.

Le Colonel, le Lieutenant-Colonel et quelques officiers assistaient à la messe le dimanche, mais les soldats étaient rares.

Ce régiment était chargé de garder le secteur de Rivière, et de Groffliers on conduisait chaque semaine les soldats en automobile pour relever leurs camarades qui, à leur tour, venaient se reposer à Groffliers.

Pendant son séjour à Groffliers, le régiment perdit un homme tué par accident à Rivière. Le Colonel fît chanter un service à Groffliers pour le repos de son âme, et tous les soldats des environs y assistèrent.

Les Dragons furent remplacés par le 33e d'Artillerie qui arriva le dimanche 12 mars 1916 et resta trois semaines dans la paroisse. Quelques officiers et soldats assistaient à la messe. Ces militaires venaient de Notre-Dame de Lorette et de Carency où ils avaient beaucoup souffert.

Il y avait deux cuisines au presbytère : une pour un capitaine (le capitaine Blaquin du Havre), un lieutenant (le lieutenant Soyer de Paris) et l'aumônier (Monsieur l'Abbé Turpault, vicaire à la cathédrale de Poitiers). Les inséparables, comme on les appelait, l'autre dans la buanderie pour une trentaine de soldats. Nous vivions comme des frères. Je prenais mes repas avec l'aumônier et les deux officiers.

Malheureusement cette vie de famille ne dura que quelques jours. Il y avait à Groffliers trop de soldats, et la batterie (2e) du capitaine Blaquin fut désignée pour Conchil. Le capitaine fit plusieurs démarches pour rester ici, mais ce fut inutile, il dut partir le lendemain. Depuis ce temps, il m'a écrit plusieurs fois, et chaque année, au commencement de janvier, je reçois de lui une fort belle lettre. Il est maintenant commandant.

L'aumônier du régiment, Monsieur l'Abbé Trupault a été tué dans la Somme quelques semaines plus tard, il en fut de même de celui qui le remplaça.

Après le départ du 33e d’Artillerie, il n’y eut plus de soldats à Groffliers jusqu'au commencement de septembre. Alors, nous eûmes le 9e zouaves que les Allemands appelaient le 9e sauvages à cause des pertes que les zouaves leur avaient fait subir (ils n'avaient pas épargné les prisonniers). À Hébuterne les Allemands avaient mis au-dessus de leurs tranchées une pancarte avec cette inscription « Nous savons que nous avons devant nous le 9e sauvages ».

Il y avait au bataillon (1er bataillon) Bataillon) un prêtre-brancardier (caporal) qui était en même temps aumônier. C’était Monsieur L'Abbé Lucien Beaumer, jeune prêtre du Diocèse de Versailles qui aimait à venir au presbytère dans la journée (il était obligé de passer la nuit avec les infirmiers). J'ai gardé de lui le meilleur souvenir. Il m'écrivait de temps en temps, puis n'entendant plus parler de lui, j'écrivais à l'Évêché de Versailles pour demander de ses nouvelles. Le secrétaire de l’évêché me répondit que ce jeune prêtre de grande valeur avait été tué à l'attaque de Champagne en avril 1917.

Parmi les soldats de ce bataillon, un bon nombre venait aux offices.

D'ailleurs, l'aumônier du bataillon comme celui du 33e d'Artillerie chantait le salut plusieurs fois la semaine et adressait quelques mots aux assistants.

En général, tous les soldats des différents régiments ont eu ici une attitude plutôt bonne.

Quelques semaines plus tard sont arrivées les troupes anglaises à Groffliers et canadiennes à Waben.

À Groffliers, il y avait au château de la famille Barrois un État-major daviation, et au hameau de la Rochelle une école d'artillerie pour les officiers (ce qui fut peut-être la cause des avions Boches dont nous parlerons plus tard).

Il y avait parmi les Anglais quelques officiers et soldats catholiques qui venaient régulièrement à la messe (on s'en apercevait à la quête). Quelques-uns faisaient la Sainte communion dans la semaine.

À Waben, les canadiens catholiques, conduit par un sous-officier, assistaient à la messe du dimanche soit avec un livre, soit avec un chapelet. Plusieurs faisaient la Sainte communion. Rien de plus édifiant pour les paroissiens.

Le dimanche 4 août 1918, dans toutes les églises de France, on a chanté la messe pour les soldats morts depuis 4 ans. Après la messe, on a chanté le Liberae puis, on a prié pour attirer les bénédictions de Dieu sur les nations alliées. Monseigneur avait demandé à ses prêtres d’inviter à cette cérémonie les soldats présents dans la paroisse. J’ai donc invité les Canadiens à Waben et les anglais à Groffliers. Je suis allé rendre visite, dans ce but, au colonel des Canadiens (les Canadiens faisaient une nouvelle ligne de chemin de fer), au colonel des Anglais pour l'aviation et à celui qui dirigeait l'école d’artillerie. Tous m'ont fort bien reçu.

Le colonel canadien me dit qu’il était protestant (hérétique ajouta-t-il en souriant – tous frères quand même répondis-je) mais qu'il enverrait les soldats catholiques. Il me montra l'histoire du pèlerinage du Saint-Esprit à Rue qu’il venait de commencer à lire.

Les deux colonels anglais de Groffliers qui se trouvaient avec leurs officiers ont promis d’assister à la cérémonie et d'envoyer un groupe de soldats ; ils ont tenu parole, et tous, officiers et soldats, ont donné le bon exemple par leur tenue édifiante.

J'ai rendu visite aussi à M.M. les maires de Waben et Groffliers qui ont invité leurs conseillers à assister à la messe. Ils ont répondu à cette invitation tous à Groffliers, presque tous à Waben.

Passages des avions Boches

Pendant la nuit du dimanche au lundi de la Pentecôte (19 mai 1918), les avions Boches ont jeté des torpilles et des bombes sur le territoire de Groffliers, surtout dans une prairie de la ferme dite ferme de la Molière (ferme de rééducation des mutilés). Il y avait dans cette prairie des chevaux et des vaches. Trois vaches furent atteintes par les projectiles et on dut les abattre. On croit que les avions Boches voulaient atteindre l'État-major Anglais pour l'aviation. D'autres disent que les Boches ont pris la baie de l'Authie pour la baie de Canche.

À partir de cette date, les avions Boches passaient toutes les nuits à Groffliers pour aller bombarder soit Boulogne, soit Étaples.

Dans la nuit du 29 juin, ils ont jeté plus de 50 bombes et torpilles, encore sur le territoire de Groffliers (aux quatre coins du village) dont plusieurs près de l'église mais sans causer d’accident.

Les habitants du village n’osaient plus se coucher le soir. Quelques-uns avaient fait des tranchées (et quelles tranchées) où ils se cachaient quand on entendait les avions ; d'autres passaient les nuits sur les dunes ; une quinzaine partaient pour Berck et revenaient le lendemain matin (on croyait que les avions Boches ne seraient pas allés à Berck à cause de Madame la Baronne de Rothschild qui habite cette ville une partie de l'année).

D'autres enfin se réunissaient dans une maison pour être moins effrayés et mourir en compagnie si le bombardement venait à tomber sur le logis.Quoi qu'il en soit, ce n'était pas gai, et les plus fortes têtes avaient peur. Que serait-il arrivé s'il avait fallu passer l'hiver de cette manière ? Beaucoup seraient morts de peur ou de maladie.

Heureusement l'Armistice du 11 novembre a mis fin à toutes les horreurs de la guerre, et c'est avec une bien grande joie qu'on a chanté le Te Deum pour remercier Dieu de nous avoir donné la victoire, la France ne pouvait pas périr. Le Boche l'avait châtié avec la permission de Dieu, mais son tour était arrivé.

Il faudra attendre plusieurs longs mois pour la signature de la paix, mais les Français sont patients.

Enfin le 23 juin (dernière limite) les Allemands ont accepté les conditions imposées par les puissances alliées, et, le 28 du même mois a eu lieu la signature de la paix… et ce fut grande fête dans toute la France … Les cloches des villes et des villages annoncèrent la grande nouvelle, et, les fidèles, invités par leurs évêques et leurs prêtres se rendirent à l'église pour remercier Dieu.

Le dimanche 13 juillet, veille du défilé triomphal des troupes françaises à Paris, nous avons chanté le Te Deum à l'occasion de la signature de la paix. Les conseillers municipaux et tous les combattants étaient présents.

Après le Te Deum, nous sommes allés en procession au calvaire du cimetière où nous avons chanté un de Profundis pour les soldats de la paroisse morts pour la patrie.

Nous avons donc fêté la victoire, la paix tant désirée ! Nous avons fêté tous les soldats, nous avons fêté le sang des martyrs, les larmes des veuves et des orphelins, le sacrifice de tous ceux, vivants ou morts qui ont lutté pour la patrie et la liberté. Gloire donc à notre France immortelle ! Gloire à ceux qui sont morts pour elle ! Gloire à tous les combattants !

Statistiques

Groffliers : Waben :
Mobilisés = 111 Mobilisés = 70
Morts = 25 Morts = 11
Blessés = 23 Blessés = 21
Décorés = 14 Décorés = 11

Le dimanche des Rameaux 1919, une quête a été faite à Groffliers et à Waben pour mettre dans chaque église une plaque commémorative avec les noms des soldats morts pendant la grande guerre.

Cette quête a produit à Waben la somme de 126 fr 45 et à Groffliers la somme de 314 fr 60.

Tous les ans, pendant le mois de novembre, un service est chanté à Waben et à Groffliers pour les soldats de la paroisse.

Groffliers, le 31 juillet 1919

A. Décobert

Curé de Groffliers-Waben

Le document original

Lien interne

Notes

  1. Transcription originale par Philippe Chaussoy.