Conférence du curé de Laires et de Beaumetz-lès-Aire sur l'histoire de la Grande Guerre

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Après la Grande Guerre, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé Déprez de Laires et de Beaumetz-lès-Aire apporte son témoignage sur la vie de sa paroisse pendant la Grande Guerre.

Il y évoque ainsi l'émotion particulière de la mobilisation, la peur de la population au contact des troupes indiennes. Il déplore les mœurs licencieuses des habitants qui profitèrent un peu trop à son goût de la présence des troupes anglaises.

Ce témoignage est écrit en cinq pages manuscrites sur des feuilles de papier simple. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 107. Nous vous en proposons ici une transcription[1].


Conférence de l'histoire locale de Laires et Beaumetz-lès-Aires pendant la guerre 1914-1918

Par A. Déprez

Les populations de Laires et de Beaumetz-lès-Aire vivaient dans la quiétude la plus parfaite, ne craignant pas la possibilité de la guerre.

Aussi se trouvèrent-elles totalement complètement désarçonnés lorsque ce cataclysme se déchaîna. Et cependant, combien de gens m'ont dit : « vos prédécesseurs, MM. Pruvost et Germe, nous en avaient souvent menacés ! ».

Quelques jours avant la mobilisation générale devait avoir lieu le pèlerinage à Lourdes du diocèse d'Arras. Douze paroissiens de Laires, conduits par leur curé, allaient prendre part à ce pèlerinage. Le jour du départ pour Lourdes étant venu, et n'ayant reçu aucun contrordre, ils se rendirent à Lillers, où, à leur grand regret, ils apprirent que vu la gravité des événements en perspective, les compagnies des chemins de fer ne pouvaient garantir le retour, et par conséquent, elles avaient supprimé les trains de pèlerinage. Contraints de rentrer chez eux, les pèlerins étaient persuadés que ce n'était là qu'un contretemps fâcheux et que l'alarme passées, ils pourraient bientôt, en toute sécurité, aller à Lourdes prier la Vierge Immaculée, Reine des Miséricordes et Reine de la Paix.

Mais hélas ! Les craintes de ceux qui disaient la guerre inévitable n'étaient que trop fondées et le samedi suivant (2 août), à trois heures du soir, les hommes d'armes apportent l'ordre de mobilisation générale les cloches s'ébranlent et le tocsin résonne comme un glas funèbre ! Et que de fois, ce glas se fera entendre pour annoncer à la population le sacrifice consommé de nouvelles victimes ?

Toute la population, secouée par un sentiment d'angoisse inexprimable, s'émeut et s'agitent. Hommes, femmes, enfants, les yeux tuméfiés de larmes à la pensée de la séparation cruelle, affolés, questionnant : « La guerre est-elle déclarée ? ». Une réponse vague tente de les rassurer : « Mesure de précaution ! Tout espoir de conserver la paix n'est pas évanoui ! ».

Et comme d'instinct, tous, à l'instigation de M. le curé, se rendent à l'église. Dans une fervente prière, au milieu des sanglots et des larmes, ils implorent la protection de Dieu Tout-Puissant et de la Reine du Ciel sur ceux, et ils sont nombreux, qui abandonnent tout ce qu'ils ont de plus cher au monde, volent à la défense de la patrie en danger. M. le curé encourage les uns et les autres et les engage à mettre toute leur confiance en Dieu seul. Puis, un bon nombre de partants s'empressent auprès du tribunal de la Pénitence afin d'être prêts à tout ce que Dieu voudra. Ceux qui ont quelques délai pour se rendre à leur poste viendront le lendemain recevoir le pain des forts, les autres sont contraints de partir sans cette consolation. Et si en faisant leurs adieux à M. le curé, une larme perle à leurs paupières, ils savent répondre aux paroles d'encouragement : « Du courage ! Nous en aurons M. le curé, mais ces petits que vont-ils devenir ? ». Tous ces petits, avec la grâce de Dieu, nous vous les garderons et Dieu vous les rendra. Et lorsque s'arrachant aux étreintes de leurs parents, les hommes sont partis, nous les suivons longtemps des regards, pensant nous-mêmes : de tous les partants, combien ne reverront plus leur maison, ni leur champs, ni leur clocher !

[ ?] Hélas ! nous n’en serons pas préservés de cette guerre dévastatrice. Bientôt, la nouvelle nous parvient : l'Allemagne a violé nos frontières ; l'Allemagne a envahi la Belgique : nos troupes de couvertures gagnent les frontières. Déjà les premières rencontres ont eu lieu. Les nôtres se sont battus comme des lions ; mais les flots de ceux qui ne tarderont pas à se révéler comme des barbares, montent toujours et les submergent. L'émotion est de plus en plus violente dans la population : chacun éprouve le besoin de se tourner vers Dieu. Les offices du dimanche sont fréquentés par ceux mêmes qui ne connaissaient plus ni fête ni dimanche. L'église ne désemplit point aux exercices du soir, où la prière monte fervente. Salva nos, domine, perimus. Au secours seigneur, nous périssons ; c'est le cri que ne cesse de pousser toute cette multitude apeurée. Bientôt nous parviennent les nouvelles des désastres de Dinant, de la prise de Liège, de la bataille de Charleroi. Les pillages, les incendies de Louvain nous sont connus. Le massacre des innocents par centaines, les mutilations des femmes, des enfants jettent la terreur et la consternation partout. Bientôt la nouvelle arrive que les Allemands ont franchi les frontières ; on se bat aux portes de Lille ; Lille est tombé et hélas ! trois de nos paroissiens sont fait prisonniers : Alexandre Duquénoy, Pierre Copin et Jacques Lemaître. Bientôt les Allemands s’approchent, ils visitent Aire-sur-la-Lys qui est sans défense.

Le 11 octobre 1914 tombe la première victime : Jean-Baptiste Copin, tué au combat de Woëvre, dans la Meuse. C’est un motif pour la population de redoubler encore de supplications et de prières. Il est facile de toucher ces cœurs, aussi un mouvement se dessine vers la communion fréquente aussi bien des grandes personnes que des petits enfants. Quel spectacle touchant et réconfortant de voir ces foules assiéger en quelque sorte la table sainte. Aussi, quoi d'étonnant que nous ayons obtenu le miracle de la Marne ! La prière montait si fervent vers Dieu ! Chacun lui offrait avec tant d'amour ses peines, ses terreurs et ses souffrances pour le salut de la France ! Cette ferveur continuait toujours lorsque le 2 novembre 1914, le 16e dragons vint cantonner dans la commune. Il était commandé par le capitaine Gourand, lequel tint à honneur d'être logé au presbytère. Dès le lendemain de son arrivée, M. Gourand fit célébrer une messe pour ses officiers et soldats tombés au champ d'honneur. Ils avaient accompli la retraite de la Marne et après la défaite allemande, ils avaient participé à la course à la mer. Exténués, ils étaient venu se reposer, mais l'eau faisant défaut pour les chevaux nous n'eûmes pas le bonheur de les conserver longtemps. M. Gourand et son état-major firent l'édification de la population.

Nous ne vîmes plus de soldats jusqu'à la fin de décembre 1914. La veille de Noël des troupes indiennes font irruption dans le village. La fête de Noël se ressentit très fort de la présence de ces troupes de couleur. À la messe de minuit, très peu de monde. Apeurés par ces noirs, les habitants n'avaient pas osé sortir au milieu de la nuit. Cette présence des troupes fut funeste à l'esprit religieux de la population. Pour différentes raisons, nos exercices religieux du soir furent de moins en moins fréquentés. Il y eut d'abord la peur ; ensuite, les habitants dont les maisons étaient assiégés par ces soldats, ne pouvaient tout laisser à l'abandon. Mais bientôt l'on fit connaissance et ces soldats qui avaient beaucoup d'argent furent bientôt les bienvenus. Avec les Indiens se trouvaient des Anglais, soldats de métier, dont le salaire élevé leur permettait de faire des dépenses folles. Et puis ils étaient si bien ravitaillés. Que d'objets furent donnés par eux. Ils avaient un mot pour se faire comprendre : souvenir !

Mais s'ils donnaient volontiers de leur superflu ou même des objets dont ils avaient besoin, ils aimaient aussi recevoir. Et ce qu'ils semblaient rechercher surtout, c'étaient des marques d'amitié. À ce point de vue, ils trouvèrent malheureusement un terrain fort propice. En général, les officiers qui voulaient se créer des relations plus ou moins licites furent bien accueillis par les personnes même qui, vu leur rang et leur sentiments religieux, auraient dû avoir une conduite toute différente.

Aussi, dès lors l'assiduité à la prière et aux saluts du soir alla-t-elle diminuant rapidement. L'appât du lucre fit transformer beaucoup de maisons particulières en débits de boissons. Puis certaines jeunes filles, même de celles qui auraient voulu passer pour sérieuse, se promenaient à travers le village au bras des officiers.

L'assistance aux offices cependant ce maintint toujours fort nombreux. Mais les remontrances mêmes toutes paternelles qui furent faites, excitèrent plutôt encore le besoin pour certaines de se faire remarquer encore davantage.

Une autre cause du relâchement réside dans les allocations militaires que le Gouvernement distribua à foison aux familles aisées aussi bien qu'aux familles nécessiteuses. Il en résulta un état d'esprit qui porta à la paresse et favorisa plus encore la licence des mœurs.

Aussi, dès février 1915, l'épreuve s'appesantit-elle plus lourdement sur la population de Laires. Chaque mois de cette année 1915, nous comptâmes une victime, un soldat tué à l'ennemi, pris indifféremment dans les familles bien chrétiennes, chez lesquelles cela constituait une terrible épreuve, ou dans les familles indifférentes ou coupables pour lesquelles c'était alors le châtiment.

La population de Beaumetz fut moins éprouvée que celle de Laires pour les raisons suivantes. Il y a eu à Beaumetz un certain nombre de familles nombreuses dont les chefs ne furent pas mobilisés en raison de leurs six enfants. La jeunesse de Beaumetz fut aussi moins répréhensible que celle de Laires. Cela tient à ce fait que les jeunes filles les plus en vue eurent toujours une conduite irréprochable, ce qui n'exista pas à Laires. Aussi, nous n'y comptons aucun décès pendant les trois premières années de la guerre. L'épreuve vint pour la population de Beaumetz la dernière année de la guerre, et surtout les derniers mois. Nous comptons alors quelques décès qui firent une forte impression.

Les communes de Laires et de Beaumetz furent préservées des bombardements aériens nocturnes.

Le nombre des décès pour Laires fut de 21. Pour Beaumetz de 6 seulement.


Notes

  1. Transcription par Ivan Pacheka pour Wikipasdecalais.

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